L’Alpe 22 : éditorial

Depuis le solstice de Noël, l’hiver est là, mais un puissant levain travaille secrètement la nature endormie. Au mitan de janvier, peu après l’Épiphanie, incarnation de l’astre renaissant, le judaïsme fête le Nouvel an des arbres qui marque l’inversion de la sève dans la végétation. Après la cueillette du diamant noir au zénith des belles journées d’hiver, marche sur les traces du sabot de tes chèvres et de tes brebis, là où pousse la salade des champs. Bienheureuses herbes dépuratives pour tes humeurs.

Le bélier est le symbole du réveil de la nature dans les mythologies antiques. Cette force incandescente pousse les bêtes à s’unir et lance les plantes vers la lumière pour des noces immuables. Miracle du printemps et de l’éternel retour de l’amour. Verts tendres des pousses lentement déployées. Glace et neige relâchent leurs griffes. Bois et pacages renaissent à la couleur. La vigne pleure quand tu la tailles. La fleur du narcisse annonce la morille, et le joli mai, les beignets d’acacia et le miel très doux qui va si bien avec. À la Saint-Jean, cueille les simples qui soignent ton corps et ton âme.

Plénitude de la lumière des fenaisons et des moissons. Suis maintenant les grands troupeaux ensonnaillés, vers l’herbe neuve sur la montagne. Framboises, myrtilles et mûres ravissent les petits. Tresse la fleur de la lavande pour parfumer bahut et armoire. Quelques flacons de vin de noix ou de sureau, de liqueur de génépi ou de gentiane, exalteront la gloire de l’alpe. Les premiers orages enflent sur le soir. Scie tes planches, répare ton toit avant que le temps ne se gâte.

Le vent se lève, une année s’achève. Voici l’automne mélancolique. Que Déméter, déesse de la fertilité, emplisse ta grange de pommes et de coings, ton grenier de noix et de châtaignes, et ton cellier du jus de tes raisins. Splendeur des frondaisons pourpres et fauves, nuages en fuite sur les monts déserts, eaux mortes. Rentre tes choux et tes patates. Aux premiers gels, cueille la sorbe, la prunelle et le genièvre. Fends ton bois, et puis endors toi comme tes abeilles, en rêvant à la beauté du monde et à l’étoile qui t’attend à l’aube de ton sommeil.

André Pitte

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