L’Alpe 24 : éditorial

On aurait étonné plus d’un citadin, habitant d’Innsbruck ou de Grenoble, si on lui avait dit, il y a à peine quelques décennies, qu’il vivait dans une ville alpine. Peut-être même se serait-il senti injurié, comme si on l’avait traité de bouseux. Pour l’urbain, longtemps la campagne a été le pire des cadres de vie (hors la villégiature et l’exotisme), symbolisant la pire des conditions ; a fortiori cette campagne pentue, à peine civilisée, qu’était alors la montagne. Le mépris n’est jamais loin de l’exercice du pouvoir, et la domination des communautés montagnardes par les urbains est aussi vieille que le sont les villes.

Le chemin qui conduit au renversement de ces valeurs est bien connu : il suit la découverte et la reconnaissance de la montagne puis, aujourd’hui, les nouvelles fonctions qu’assure la nature (ou l’idée de nature) dans notre civilisation. Mais là encore, dans l’une et l’autre de ces évolutions, le montagnard n’a pas été concerné, son avis pas même sollicité : il suffit pour s’en convaincre de voir comment et par qui se définit aujourd’hui la fameuse «  convention alpine  ».

Rien de nouveau donc, sinon cette propension récente pour les villes à se revendiquer «  alpines  ». En l’absence de critère objectif (il y aurait peu de candidates si l’altitude devenait le seul étalon !), de la bourgade à la métropole régionale, toutes les cités se veulent au coeur du massif et affirment entretenir avec lui des relations étroites, équilibrées et fructueuses. Plusieurs d’entre-elles revendiquant même le titre de capitale des Alpes.

De fait, c’est bien d’image qu’il s’agit. Et c’est bien une démarche publicitaire qui anime les édiles de nos cités dans un contexte de concurrence plus ou moins feutrée (pour conquérir des titres, pour retenir des habitants, pour attirer des implantations économiques). Le cadre de vie, les valeurs humaines supposées montagnardes (avec une confusion entretenue avec les valeurs de l’alpinisme) et surtout cette nature réputée sauvage, composent un thésaurus publicitaire dont le jeu offre d’innombrables variantes.

Il n’y aurait là rien de bien grave, somme toute, si l’on avait l’assurance que les populations alpines ont quelque chance d’en tirer profit. Et que leurs identités culturelles, multiples, ne sont pas une fois de plus utilisées, recomposées, voire trafiquées, pour servir d’exutoire à des ambitions urbaines. Et que les arrières-pays ne sont pas tous condamnés à devenir des parcs de loisirs.

Jean Guibal

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