Les chemins d’André

Un texte biographique de son ami Denis Chevallier, ethnologue, conservateur en chef au Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, à Marseille, paru en 2000 dans Vives campagnes, le patrimoine rural, projet de société, un numéro de la revue Autrement (collections Mutations).

Créateur des éditions À Die, directeur de la rédaction de la revue L’Alpe, inventeur et animateur infatigable de fêtes comme la fête de la transhumance et celle de la Clairette, André Pitte ne veut pas être considéré comme un militant du local mais plutôt comme un passeur. Il fait partie de ces hommes et ces femmes dont la passion ne peut s’exprimer que dans un contexte d’intense communication.

Au départ il y a donc une passion, celle de la campagne, celle du monde rural, des terroirs. Le virus, cet enfant de la banlieue est de Paris, né à Pantin, dit l’avoir attrapé très tôt. À l’âge de six ans quand, pour des raisons de santé, il passe six mois en Aubrac dans un préventorium : « On construisait des cabanes, c’était génial ».

Dès lors, il n’aura de cesse de quitter Paris. Après des études qui l’amènent à fréquenter architectes et maîtres d’œuvre (« Je connaissais presque par cœur le livre de Doyon et Hubrecht sur l’architecture rurale et bourgeoise »), il s’associe à un apiculteur qui l’hiver retape des maisons. Cette activité l’emmène à Borme-les-Mimosas puis dans l’Ain. Nous sommes à la fin des années 1960. Les retours à la terre ne sont pas encore vraiment à la mode. André Pitte achète une petite maison à Jonchères, une commune du Haut-Diois. Dès lors, il ne quittera plus cette région, « une terre sauvage, pauvre et pourtant humainement très riche, très civilisée », un pays, le Diois qu’il aime et qu’il s’attache depuis trente ans à connaître et faire connaître dans ses moindres recoins.

La scolarité de ses enfants (il est père de six enfants) le fait s’installer dans la petite ville de Die à la fin des années 1970. Pour André Pitte, le patrimoine à cette époque, c’est surtout l’architecture. Il se désespère du mitage de la périphérie de Die par un habitat très banal alors que le centre ancien est laissé à l’abandon. Passeur d’idée déjà il choisit d’utiliser les armes de la sensibilisation et surtout celle de l’exemplarité. C’est ainsi qu’il réalise un montage audiovisuel pour expliquer aux habitants ce qu’il faut éviter et qu’à la même époque, il entreprend la restauration d’un ensemble de bâtiments dans une des rues les plus anciennes de la ville, la  rue de Chastel. Son objectif est de prouver que l’on peut vivre agréablement en ville. De toute façon, comme il se plaît à le répéter, si chaque Français voulait s’approprier ne serait-ce qu’un seul hectare, le territoire national n’y suffirait pas.

Dans les années 1980, André Pitte collabore activement avec le parc naturel régional du Vercors dans le cadre de son projet culturel. Le parc est alors présidé par un élu de choc, Yves Pillet. Le maire de Pont-en-Royans est convaincu de l’importance du patrimoine dans le développement local et a lancé dès 1980 un ambitieux projet de connaissance et de restitution de la mémoire du territoire. Ce sera l’occasion pour André Pitte d’entamer des collaborations avec le Musée dauphinois de Grenoble qui joue un rôle actif dans ce programme. Ce sera aussi pour lui l’occasion de faire ses premières armes en tant qu’éditeur puisque les éditions de la Manufacture qu’il fonde avec Michel de Paepe voient le jour à Die dans le cadre du projet culturel du parc. C’est la Manufacture qui publiera un peu plus tard une collection de guides dont le premier est consacré au Vercors.

Séparé de la Manufacture, André Pitte trouve avec le GRETA la possibilité de renouer avec la pédagogie du patrimoine. De 1987 à 1992, il anime des formations d’artisans à différentes techniques de construction traditionnelles comme celles des enduits, que les maçons locaux semblent avoir oublié, à base de chaux. Il faut convaincre par tous les moyens et donc viser toutes les cibles : celle des usagers et celle des acteurs. A partir de 1990, André Pitte s’active sur tous les fronts, ceux de la diffusion par l’intermédiaire de sa maison d’édition où il réédite et achève le corpus de l’architecture rurale française avec le musée des Arts et traditions populaires et le CNRS, puis ensuite en 1998 à travers la revue L’Alpe qu’il fonde avec l’éditeur Jacques Glénat et le Musée dauphinois ; ceux d’une sensibilisation active d’un large public : ce sera l’organisation en 1990 de la première fête de la transhumance dont le succès n’a fait que croître au cours des dix dernières années ; ce sera en 1997, l’organisation de la fête de la clairette.

La fête de la transhumance illustre la conception qu’André Pitte a de l’action patrimoniale. L’objet, une pratique d’élevage, servira de fil conducteur pour démontrer que le patrimoine n’est ni nostalgie ni repli identitaire mais un moyen de faire se rencontrer des gens de cultures différentes. Ainsi, la fête de la transhumance est-elle conçue dès l’origine comme un moyen de créer des liens. Entre monde des villes et monde des campagnes, entre transhumants et sédentaires, peuples du sud et du nord. La fête fait une place de plus en plus grande à ceux d’ailleurs : Corses, Basques, Berbères, Peuls, Touaregs, Kirghises et Turkmènes d’Asie centrale, etc. Son objectif est de « tendre des passerelles entre des mondes qui trop souvent s’ignorent ».

Alors le patrimoine n’est-il qu’un simple prétexte à animations culturelles locales ? Non, répond André Pitte. C’est beaucoup plus, car il touche à l’identité de chacun. Ainsi, une des retombées (et non des moindres) fut-elle de redonner aux bergers une dignité qu’ils avaient souvent l’impression d’avoir perdue.

Mais alors ne risque-t-on pas ainsi de «  folkloriser », de figer, d’enfermer la réalité dans le carcan de la nostalgie ? Pour éviter cet écueil il faut montrer que tout est lié  : « Si l’on montre qu’une profession existe, qu’elle est vivante on sait aussi que ce n’est pas la culture toute seule qui peut la maintenir. Il faut aussi des interventions économiques. Ce n’est pas un hasard si la première convention concernant les mesures agro-environnementales entre le parc naturel régional et l’État a été signée à Die pendant la fête de la transhumance de 1991. »

Pour André Pitte, le patrimoine n’est pas dissociable de la vie. Il constitue ce supplément d’âmes, « ce qui nous rend heureux ensemble ».

Denis Chevallier

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