L’Alpe 40 : éditorial

La condition ouvrière est-elle soluble dans l’alpe ? C’est la question que l’on peut se poser aujourd’hui tant le fait industriel est souvent effacé du paysage montagnard. Comme s’il en représentait une face cachée. On préfère jouer le saut temporel en laissant croire au visiteur que le travailleur alpin est instantanément passé du cul des vaches à l’accueil des touristes. L’exploitation des mines, la métallurgie, la domestication de l’énergie hydraulique et la fabrication du fer ou du papier ne représenteraient ainsi qu’une parenthèse de l’histoire qu’il faudrait vite refermer avant que ne s’en échappent des voix discordantes dans la grande harmonie de cette si belle nature alpestre…
Dans le Nord-Pas-de-Calais, au Creusot ou à Carmaux, partout ailleurs, cette mémoire populaire est pourtant reconnue depuis des décennies. Dans les années 1970, on avait même été jusqu’à inventer le concept d’archéologie industrielle. L’étudiant aux Beaux-arts que j’étais alors, travaillant sur les vallées sidérurgiques lorraines, fils d’ouvrier, avait presque était séduit par le discours officiel. Avant de se rendre compte que les hommes et les femmes qui savaient manier ces outils si savamment évoqués par des chercheurs étaient encore bien vivants et qu’à côté de l’art et de la science, ils avaient peut-être aussi des choses à nous apprendre sur eux-mêmes, sur l’usine et sur la vie.
« Dis, papa, c’était quoi le ski ? » Cette question, nos petits-enfants nous la poseront probablement demain quand le tourisme de neige sera passé de mode. Musées des sports d’hiver et autres centres d’interprétation savent d’ores et déjà leur répondre. Mais les petits acteurs du monde industriel, eux, attendent encore qu’on daigne écouter leur parole. Dans le département de l’Isère, un grand projet est en ce moment même en chantier. Saluons donc l’initiative et souhaitons qu’elle fasse des émules. En attendant, c’est aux ouvriers de l’alpe que ce numéro de L’Alpe est dédié. Affectueusement.

Pascal Kober

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