Bernard Dangréaux

Ce qu’il y a derrière

Mon grand-père maternel est un homme du plat. Il est de Calais. C’est dire que son enfance n’a d’autre terrain de jeu que ces immenses plages d’où, par-delà la mer, il est possible, parfois, d’apercevoir les côtes d’Angleterre. Sa vie, pourtant toute de mouvement, ne lui a offert d’autre paysage que ceux parcourus par les trains de la compagnie des chemins de fer du Nord. Même la Grande Guerre ne lui a apporté d’autre horizon que ceux des champs de bataille de Belgique. Un homme du plat  ; de l’horizontalité. Les Alpes lui font découvrir la verticalité. Sur le tard. Par une visite au petit-fils installé à Grenoble. Ce changement de dimension transforme sa perspective. Plus n’est besoin de voir loin  ; il lui faut voir haut. Obligé de se redresser tout entier pour mieux lever la tête, il y gagne d’ailleurs une certaine dignité. Du coup, la lenteur de ses pas lors de nos promenades alpines trahit moins l’âge que le souci d’appréhender le paysage. Nous cheminons ainsi, posément, au milieu d’un environnement marqué par les lignes de crêtes des toutes proches montagnes. Il s’arrête tout à coup pour m’interpeller  : «  Je me demande bien ce qu’il y a derrière.  » Je perçois qu’il parle de l’autre côté  ; je ne peux pourtant que balbutier une réponse qui, sans doute, ne le satisfait pas. Et nous reprenons notre route. La question demeure aujourd’hui en moi. Comme le trouble de n’avoir pas su répondre. J‘ai, confusément, senti que l’évidence ne pouvait suffire. Cet homme des espaces ouverts attendait autre chose. C’était comme s’il avait trouvé dans le faîte des montagnes des limites jusque-là inconnues. Peut-être pour comprendre me faudra-t-il atteindre l’âge qui était le sien. Mais quand je vois quelqu’un monter vers les sommets, je me mets à penser qu’il s’en va voir «  ce qu’il y a derrière  »…

Bernard Dangréaux, archéologue et historien de l’Antiquité.

Un commentaire sur « Bernard Dangréaux »

  1. Un beau texte qui me rappelle mon père qui aimait la marche en montagne. Le dépaysement et aussi l’effort que l’on peut arrêter si on est trop fatigué, tant qu’on est amateur.
    Il y avait, en moyenne montagne, un esprit respectueux de l’autre et amical qui étaient très appréciés.

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