L’Alpe 47 : Éditorial

Il est des commémorations plus simples que d’autres. Célébrer la Révolution française, l’armistice de la Grande Guerre, le débarquement allié, la Libération, etc., ne soulève aucune ambiguïté. Tout le monde peut participer à la fête en pleine conscience, saisissant suffisamment le sens et la portée de l’événement pour s’en réjouir.

S’agissant du cent cinquantième anniversaire de la réunion de la Savoie à la France (qui sera célébré en 2010 et que ce volume de L’Alpe annonce) la chose est à bien des égards plus complexe. On en veut pour preuve la difficulté que rencontrent les Savoyards eux-mêmes pour qualifier l’événement et son résultat : réunion, rattachement, cession, annexion (à la France ou par la France)  ! Les Dauphinois voisins ne sauraient en sourire, eux qui ont un «  Transport  » pour désigner leur intégration au domaine royal, dès 1349  : bel euphémisme pour qualifier une vulgaire transaction commerciale  !

C’est que dans la Savoie de 1860, l’événement est à rebondissements et quelque peu… confus : un accord secret dès 1858, une guerre contre l’Autriche, la signature d’un traité, un référendum et deux ratifications. Et la Savoie (avec le comté de Nice, on ne saurait l’oublier !) se retrouve française. Le tout renvoie en outre à des notions qui ont profondément évolué. Celle de frontière d’abord qui, pour les Européens tout au moins, ne veut plus marquer la même séparation ni la même distance. La construction des unités nationales ensuite, en France comme en Italie, qui ne suscite plus cette ferveur, cause de tant de guerres. Les différences et les proximités culturelles enfin, qui n’appellent plus guère de réactions, en nos temps de globalisation.

Si le débat ouvert par la commémoration est difficile et menacé par l’anachronisme, il n’en est pas moins porteur de réflexions sur notre temps et sur le devenir de nos collectivités. On laissera donc aux Savoyards, au moment où l’on évoque une nouvelle réforme des institutions territoriales, le soin de se questionner à nouveau sur l’éventuel rapprochement des «  deux Savoies  », sur leur appartenance à une région Rhône-Alpes bien lointaine ou sur l’euro-région qu’ils pourraient former avec le Piémont…

Et nous nous rassurerons en rappelant la forte identité alpine que ce territoire partage avec bien d’autres, une identité que véhicule encore une véritable civilisation. Ce qui permet de relativiser les grands faits historiques et de rappeler, plus trivialement, que pour le montagnard de la Vanoise comme pour celui du Val d’Abondance, les vaches sont montées normalement à l’alpage durant l’été 1860, après la réunion de la Savoie à la France.

Jean Guibal

Directeur éditorial

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