L’Alpe 57 : Éditorial

Il n’est jamais simple d’être considéré comme un emblème. Le val d’Abondance semble pourtant dans cette situation, tant son image est celle d’un archétype de la moyenne montagne française. De nombreux caractères sont invoqués pour nourrir cette représentation  : le paysage y est pour beaucoup, relativement préservé et témoignant encore de la prégnance des activités pastorales. Il est vrai que la vache, associée à ce terroir jusqu’à porter son nom, tient elle-même dans ce paysage un grand rôle  ; comme son mode d’élevage (la remue) et ses produits (le fromage abondance et le reblochon).

Mais c’est la maison paysanne, du moins la plus photogénique, qui est au centre de l’image. Elle est assurément exceptionnelle, cette grande bâtisse hébergeant parfois deux familles, construite en bois «  pièce sur pièce  », avec ses galeries en façade et leurs garde-corps en bois découpé. Maison qui témoigne par ailleurs d’influences culturelles complexes, avec sa chambre chaude (le pèle), sa cheminée «  chauffant au large  » (à foyer central) servant de fumoir pour la conservation de la charcuterie, voire son grenier séparé, petit bâtiment tenant lieu de resserre pour les biens les plus précieux de la famille.

C’est sans doute aussi son relatif isolement, loin des grandes voies de communication, qui a valu à la vallée d’Abondance la part de secret qui est nécessaire à la composition d’une figure symbolique. La frontière avec la Suisse, la contrebande (et jusqu’au déserteur de Giono passant le col de Morgins pour rejoindre le Valais) sont indissociables de cette image.

Que celle-ci corresponde bien à une réalité ne dispense pas pour autant les auteurs de L’Alpe de tenter d’aller au-delà des apparences, de dépasser les images, toujours trop proches du cliché, et de refuser l’archétype. Le temps (et les pages) nécessaire pour découvrir un vrai pays, conservant sa cohérence malgré les différences d’étagement et les forces d’attraction des rives du Léman d’un côté, du Valais suisse de l’autre. Le temps aussi de relever le débat de fond en cours sur le devenir du territoire, dont l’indispensable activité touristique semble hésiter pour son développement entre les voies sportive et culturelle, pourtant à l’évidence complémentaires  !

Réflexion semble-t-il aboutie sur la dimension patrimoniale, avec la constitution d’un «  pays d’art et d’histoire  », forme de reconnaissance que l’identité de la vallée est en grande partie issue de l’histoire dont les vestiges doivent être préservés. Pays auquel il ne manque plus qu’un lieu culturel pour se présenter, aux autres et à soi-même, avec la certitude que, au-delà du développement économique attendu du tourisme, c’est de la cohésion de la communauté locale dont il est question.

Jean Guibal
Directeur éditorial

 

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