L’Alpe 74 : le voyage de Jacques Chirac en Dauphiné

lalpe-74-12Il a tout juste 25 ans en ce mois de novembre 1957. Jacques Chirac est alors élève à l’École nationale d’administration (ENA). À la préfecture de l’Isère, celui qui est encore loin de la présidence de la République française effectue un stage à l’issue duquel il rédige un rapport. Pascal Kober, rédacteur en chef de L’Alpe, en a déniché quelques morceaux choisis.

Pas facile de mettre la main sur cette œuvre de jeunesse de Jacques Chirac… Aucune trace à la préfecture qui nous dirige vers les Archives départementales. Là, le fichier des auteurs renvoie bien à un fascicule de trente-six pages dactylographiées. Mais la publication référencée ne correspond pas à notre recherche. On pense que le document original a disparu. Il en existerait pourtant une photocopie qui, plus tard, semble elle-même s’être égarée. Nous avons pourtant finalement réussi à retrouver, toujours aux Archives de l’Isère, ce fameux document très peu connu y compris ici, à Grenoble.

 L’Isère. Tableau du Département est cosigné «  Jacques Chirac, promotion Vauban, novembre 1957 » et «  Jean-François Chevrolle, promotion Saint-Just, octobre 1961 ». Ce mémoire de l’École nationale d’administration compte une cinquantaine de pages agrafées, recouvertes par une couverture grise. Très classiquement découpé (présentation du département, population, activités agricoles, industrielles et commerciales, tourisme, problèmes de l’avenir, situation politique et organisation administrative), il s’ouvre sur une citation du géographe Raoul Blanchard et regorge de données chiffrées sur l’Isère des années 1950. Extraits :

Où Jacques Chirac rencontre les Dauphinois : «  Formés par la montagne, les habitants de l’Isère, dans leurs éléments autochtones (85 %) se caractérisent par une puissance de travail, une opiniâtreté dans la réalisation des buts poursuivis, une ténacité frisant parfois l’entêtement. A cela ils allient un esprit rusé et frondeur, une prudence voire une méfiance, naturelles, une aptitude remarquable à la réussite des entreprises industrielles et commerciales qui s’expliquent tant par leur sens des affaires que par des dispositions très prononcées pour la technique moderne. Mais surtout, le trait le plus marquant du caractère dauphinois est l’individualisme. »

Où Jacques Chirac loue les vertus de l’immigration : «  L’implantation [des] travailleurs étrangers ne soulève en général aucune difficulté sauf pour les Algériens en raison de la situation politique, et devant la pénurie aiguë de main d’oeuvre qui sévit dans la région, cette immigration est une absolue nécessité. »

Où Jacques Chirac évoque la question des salaires : « L’importance de [la] population industrielle ne va pas sans poser des problèmes sur le plan des salaires, d’autant plus que le suremploi qui règne dans la région depuis plusieurs années amène les entrepreneurs à une âpre concurrence dans le domaine de l’embauche, surtout des ouvriers spécialisés. Un certain défaut de cohésion dans la politique patronale des salaires en résulte et favorise ainsi les revendications ouvrières. »

Où Jacques Chirac met en œuvre des talents de visionnaire : «  [en montagne] il serait enfin possible d’améliorer sensiblement la rentabilité de l’équipement existant. Sauf en Vercors et en Chartreuse, les stations de sports d’hiver sont en effet peu fréquentées l’été ; un effort de propagande judicieuse et un minimum d’aménagements pourrait [sic] porter remède à cette situation, l’exemple suisse le démontre. » Et de poursuivre quelques pages plus loin : «  Il apparaît de plus en plus que [l’]avenir [de la région grenobloise] est lié à celui d’industries de précision, nécessitant peu de matières premières, mais employant beaucoup de “matière grise”. »

Où Jacques Chirac regrette le caractère frondeur des habitants : «  Sur le plan sociologique, les diverses classes de la population présentent des caractéristiques communes. On y trouve certes un individualisme dynamique propice aux initiatives audacieuses, mais il s’allie à un penchant marqué pour la “hargne, la rogne et la grogne”, et à un esprit revendicatif très répandu dans tous les milieux. La réticence à accepter des disciplines et une organisation collectives est très nette et se marque aussi bien par le particularisme jaloux des diveres [sic] administrations que par les difficultés que rencontre la coopération agricole. »

Où Jacques Chirac évolue parmi le beau monde : « D’origine récente (elle n’a pas plus d’un siècle), [la] bourgeoisie a gardé très vif le sentiment de ses débuts et l’orgueil de ses réalisations. Elle en conçoit un certain complexe de supériorité, mais elle a gardé également un “esprit d’entreprise”, très réel et manifeste sa volonté de conserver des leviers de l’économie. »

Où Jacques Chirac lit les journaux : « La presse quotidienne n’a plus de caractère politique depuis la disparition du journal communiste “les Allobroges”. A GRENOBLE, sont édités le “Dauphiné libéré” sans tendance marquée qui tire à 450.000 exemplaires, et une édition dauphinoise du “Progrès” de LYON qui ne tire qu’à 10.000 exemplaires. »

Où Jacques Chirac conclut sur l’Europe : «  Dans le “désert français”, [l’Isère] constitue un pôle de croissance particulièrement dynamique. Sans avoir exercé jusqu’à présent une influence considérable, l’ouverture du Marché Commun peut, dans l’avenir, jouer un rôle de stimulant à l’égard de ses industries d’avant garde et de son essor touristique. »

PASCAL KOBER

70-73-kober-chirac-leg-v1Le musée du quai Branly célèbre Jacques Chirac

Il n’aura pas longtemps porté le nom de musée des Arts et Civilisations d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et des Amériques. Pour célébrer les dix ans de son ouverture et ses quatorze millions de visiteurs (une vraie réussite !), il s’appelle dorénavant «  musée du quai Branly – Jacques Chirac ». Charles de Gaulle aura laissé son patronyme à un porte-avion et un aéroport, Georges Pompidou à un hôpital et à deux centres nationaux d’art et de culture (Beaubourg et son antenne décentralisée à Metz), François Mitterrand à une bibliothèque… Jacques Chirac, grand amateur d’arts dits «  premiers », a donc son musée. Il faut dire qu’il aura beaucoup œuvré, dès son investiture comme président de la République, pour faire naître cet établissement confié à Jean Nouvel pour une architecture extrêmement présente. De nombreux événements sont organisés à l’occasion de cet anniversaire comme ce colloque international sur un musée à imaginer (les 29 et 30 septembre 2016) cette exposition sur Jacques Chirac et le dialogue des cultures (jusqu’au 9 octobre) ou encore cette autre, The color line consacrée aux artistes africains-américains face à la ségrégation. Un thème hélas toujours d’actualité. Calendrier complet sur www.quaibranly.fr

1957 : un grand cru dans les Alpes et le monde

L’Annapurna est gravi en 1950, le premier téléphérique de Chamrousse (Isère) est inauguré en 1952, le barrage de Tignes en 1953 et le téléphérique de l’aiguille du Midi en 1955. Mais il faudra attendre 1963 pour la création du parc national de la Vanoise et 1965 pour le percement du tunnel du Mont-Blanc. Et en 1957 ?

24 janvier. Grenoble se dote du plus puissant ordinateur du monde, un IBM 650.

28 février. Première apparition du personnage de Gaston Lagaffe, créé par André Franquin, dans Le Journal de Spirou.

25 mars. Signature des Traités de Rome, premiers pas vers l’Union européenne.

2 avril. Premier vol de l’avion à décollage et atterrissage vertical Short SC.1.

31 mai. Selon un recensement, l’Isère compte 5 695 postes de télévision !

12 juin. Mise en service de la ligne de train Trans-Europe-Express Mont-Cenis entre Lyon et Milan.

25 juillet. Proclamation de la république de Tunisie.

6 août. Début de la construction du barrage de Roselend, le plus grand de France, dans le Beaufortain, en Savoie, qui sera mis en eau en 1962.

2 septembre. Première de West side story à Broadway (New York City), la magnifique comédie musicale de Leonard Bernstein (le 26).

17 octobre. Attribution du prix Nobel de littérature à Albert Camus pour « l’ensemble d’une œuvre qui met en lumière les problèmes se posant de nos jours à la conscience des hommes ».

3 novembre. «  Bip bip » : lancement par l’URSS de Spoutnik 2, un mois après le premier, avec, à son bord, la chienne Laïka, premier être vivant dans l’espace.

13 décembre. Prix Louis-Delluc décerné au film Ascenseur pour l’échafaud de Louis Malle, avec Jeanne Moreau, sur une musique de Miles Davis.

Pour ce petit florilège extrêmement subjectif, nous avons puisé dans les précieuses chronologies de Wikipedia et du numéro spécial des 70 ans de notre confrère Le Dauphiné Libéré.

En ouverture de notre article : un Jacques Chirac tel qu’il apparaissait alors qu’il était encore jeune étudiant. Ce portrait dessiné est signé Seb Jarnot pour L’Alpe. Cet illustrateur nîmois né en 1970 a déjà croqué pour nous plusieurs personnalités qui ont fait l’objet d’articles dans les pages de la revue, telles que Mario Botta, Robert Paragot ou encore Jean-Christophe Rufin.

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