L’Alpe 03 : éditorial

Transhumances… Se transporter d’une terre à une autre. Beauté et douceur du mot. Irrésistible appel à se mettre en marche qui nous atteint au plus profond de notre mémoire. Gens de la Terre, n’avons-nous pas tous été bergers ? De l’Atlantique à l’Asie centrale, les rois des temps anciens le furent tous. Quant au dieu unique, berger lui aussi, il naquit au coeur du désert sur cet humus. Transhumance… Pour André Chouraqui, la Jérusalem terrestre et céleste, épicentre des trois religions monothéistes, est, de toute éternité, partie prenante de cette transhumance. Sait-on que le mot « capitalisme », monstre froid qui domine notre monde de loups, prend sa source depuis l’antiquité dans le capital (le caput, la tête), le nombre de têtes de brebis possédées par un propriétaire ? Avec la révolution du Néolithique et l’expansion des premières sociétés productrices au Proche-Orient, la naissance des dieux, de l’agriculture, de l’élevage et en particulier de la domestication du mouton, la richesse se bâtit pour une part sur la possession d’un troupeau. Car un troupeau, c’est du lait et du fromage. Accessoirement, de la viande et des peaux. Beaucoup plus tard, du parchemin. Mais aussi, dès l’origine, de la laine, celle des tentes, des tapis et des vêtements. Dans les Alpes, jusqu’aux années cinquante les grands troupeaux furent intimement liés aux industries de filature dont l’historien pointe encore les friches le long des cours d’eau. Certes, la demande a évolué. Aujourd’hui la laine d’une brebis ne suffit pas à payer l’homme qui la tond ! Reste la viande. Mais pour combien de temps encore ? En attendant, dans l’arc alpin, perdure depuis plus de six mille ans la nécessité absolue de suivre pas à pas le cycle végétatif de l’herbe sur la pente. De la plaine vers la montagne et inversement. Comme une grande respiration cosmique et saisonnière où nos modernes villégiatures estivales trouveraient aussi leurs racines. Mais ça, est une autre histoire…

Retour en haut