L’Alpe 03 : le loup et les transhumants

Jean-Claude Duclos : Conséquence de la désertification de l’espace rural, et peut-être plus précisément de l’espace montagnard, le loup revient ; probablement parce que les hommes s’y font là de plus en plus rares. Les plus affectés par le retour de cet animal sont les éleveurs ovins, et particulièrement, nous pourrons en débattre, les éleveurs transhumants, ceux-là mêmes que nous reconnaissons, dans l’exposition que nous venons d’inaugurer, comme les héritiers des   » Gens de l’alpe   » , comme les descendants les plus directs d’une véritable civilisation pastorale et montagnarde. Que l’on soit du côté des bergers ou de celui d’une nature que l’on souhaite, coûte que coûte, préserver, cette question nous concerne tous. Probablement, mais c’est un avis personnel, parce qu’elle touche à quelque chose de très intime qui relève de notre rapport à la sauvagerie ; cette sauvagerie que l’homme possède en lui et qu’il faut combattre, ce que nous faisions ici même, il y a peu, dans cette chapelle, en célébrant le cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme. Cependant cette sauvagerie fait aussi partie de cette nature que nous voulons protéger. La réflexion à laquelle nous souhaitons contribuer ce soir, dans ce musée de société qu’est le Musée Dauphinois, s’organisera en deux temps : un temps de parole pour chacun nos invités et un débat avec la salle.

Ont été invités ce soir, à participer à cette table ronde, Marc Mallen, ethnopastoraliste, qui nous parlera de l’histoire des rapports entre l’homme et le loup dans les Alpes ; Armand Fayard, conservateur en chef du Muséum d’histoire naturelle, qui a consacré l’année dernière et tandis que la présence du loup dans notre région n’était pas encore attestée, une exposition remarquée :   » Le loup et l’homme   » . Il nous parlera de son point de vue de naturaliste sur la présence de cet animal et de son évolution récente. Jean-Pierre Jouffrey, éleveur ovin transhumant, héritier d’une longue tradition familiale, puisque ses parents et grands parents ont transhumé en Belledonne dès le début du siècle, nous racontera ce qu’il a vécu l’été dernier. Jean-François Dobremez, naturaliste et chargé de mission, désigné par Madame la ministre de l’environnement pour faire le point sur la réapparition du loup dans les Alpes. Jean Blanc, difficile à présenter, a été éleveur transhumant et sait donc de quoi il parle lorsqu’il nous explique comment on garde un troupeau sur l’alpage. Il fut également expert auprès du ministère de l’environnement et a notamment participé à la création des Parcs naturels régionaux.

Marc Mallen : La chasse au loup existe depuis qu’il y a des troupeaux. Domestication et chasse au loup sont intimement liés. La louveterie fut instaurée par Charlemagne au IX e siècle, en 813 exactement ; deux louvetiers étaient désignés dans chacun des département de l’empire Carolingien, rémunérés par les habitants. L’histoire de la chasse au loup est imprégnée de philosophie chrétienne, d’une part, qui préconisait d’utiliser la nature pour le bien de l’homme, et d’autre part, de la revendication du peuple qui veut bénéficier du droit de chasse. Ainsi, au début du XV e siècle, Charles IV donne à toute personne le droit de chasser le loup. Son ordonnance sera très vite annulée car les nobles et les grands du pays ne voulaient absolument pas que les gens du peuple soient armés. C’étaient donc les nobles et les bourgeois qui chassaient le loup la plupart du temps et avaient le droit de porter des armes. François 1er sera l’instaurateur de la louveterie, qui sera dite   » royale   » . Les louvetiers seront donc entretenus par le royaume, mais aussi par les habitants selon les mêmes lois instaurées par Charlemagne. La louveterie royale n’a pas permis l’extinction de l’espèce, et l’autorisation était parfois donnée au peuple de tuer le loup, et donc prendre les armes, par des seigneurs ou des ecclésiastiques relativement consentants. Le 6 octobre 1781, un arrêt encourage par des récompenses les habitants des campagnes à détruire les nuisibles. Cette chasse comprenaient à la fois tous les carnassiers, de la belette jusqu’au loup, et tous les rapaces. En 1787, la louveterie, après neuf siècles d’existence, est supprimée pour des raisons budgétaires. C’est une date importante puisqu’elle se situe deux ans avant celle de la Révolution, date à laquelle une autorisation beaucoup plus large sera donnée aux gens du peuple pour disposer d’armes et lutter contre le loup. C’est la loi du 19 pluviose de l’an 5 qui permet une systématisation des battues qui se faisaient tous les trois mois dans les forêts communales et cantonales, et, surveillées par des agents forestiers, étaient exécutées par des gens du peuple. En 1804, Napoléon restaure la louveterie à cause d’une prolifération des loups et des attaques, et à partir de cette date, un système de récompense donnée aux gens du peuple est instaurée pour encourager ce type de chasse. Cette incitation financière était extrêmement importante et si, pour des raisons quelconques, l’Etat, le Royaume ou l’empire diminuait les primes pour la capture de loup, les prises étaient moins fréquentes. La tendance de chaque gouvernement était donc d’augmenter les rançons pour permettre une meilleure extinction de l’espèce. Les primes étaient extrêmement incitatives. Dans certaines régions de France, on a trouvé dans les archives qu’elles pouvaient représenter vingt fois le salaire d’une journée de travail, évaluée à 1 franc. c’était quelquefois très intéressant. Les battues concernaient les territoires communaux et cantonaux et, même si elles étaient systématisées, elles étaient relativement peu importantes. Une phrase écrite par le préfet des Hautes-Alpes en 1840, transmise à l’inspecteur des forêts de Gap disait   » Vous savez aussi bien que moi que les battues n’ont pas produit jusqu’ici de grands résultats, soit par l’incurie de l’autorité, soit parce que le plus souvent le danger n’a été qu’imaginaire   » . L’incitation à la prime a permis l’extinction de l’espèce et en 1900 il n’y a plus de loup dans les Alpes, en 1937 il n’y en a plus en France hormis quelques cas isolés ou erratiques, ce fut notamment le cas du loup en trouvé 1954 dans l’Isère à Vinay. Aujourd’hui les mesures de protection du loup nous placent dans une situation inverse. On s’aperçoit que le loup est révélateur des profondes tensions qui existent entre le monde pastoral et le reste de la société. Cela se traduit par une sorte de clivage extrêmement important entre une société urbaine qui essaye de se reconstruire une certaine nature, avec des tas de problèmes de relation à l’animalité, de relation avec la mort, de relation avec l’alimentation, et une société pastorale qui est dans une logique beaucoup plus économique et qui essaye de faire valoir son outil de production, son système d’élevage et la pérennité de son travail et de ses pratiques ; pratiques qui garantissent un certain type de paysage, un savoir faire, une certaine culture.

Armand Fayard : Je m’intéresse à la nature depuis mon enfance et dans ce cadre, le retour du loup a quelque chose d’extraordinaire pour quelqu’un qui vit dans l’idéal d’une nature équilibrée où il y aurait tous les prédateurs et toutes les proies. Il faut avouer que l’annonce en 1990 des premiers pas du loup dans l’Isère est quelque chose qui fait frissonner un naturaliste. Je suis aussi scientifique, et là aussi, derrière ce retour du loup, il y a quelque chose de sensationnel. Lorsque j’étais à l’université, nous discutions souvent de réintroduction, donc d’une vision humaine du retour des animaux dans la nature qui était notre projection d’un discours tel que :   » cet habitat est très bien pour telle espèce, il faudra donc la mettre là et elle se conduira comme cela   » . Or nous nous apercevons actuellement que le retour du loup, d’une façon tout à fait naturelle, n’en déplaise à ceux qui pensent qu’il a été réintroduit, est extraordinaire pour les scientifiques car pour la première fois on va essayer de comprendre ce qui se passe dans la tête d’un animal qui choisit son propre territoire et son propre lieu de prédation. Les premiers résultats sont assez exceptionnels car ils ne correspondent pas du tout à ce que nous pensions. Il y a effectivement des dégâts assez importants, des lieux d’apparitions inattendus. Derrière tous cela il y a l’être humain qui, en 50 ans, a subi toute une évolution de société. Lorsque j’étais jeune, on m’a beaucoup appris la peur du loup, la peur de sortir dehors, d’aller vers l’inconnu, ce que l’Eglise pendant des siècles a imposé à l’humanité en disant :   » Tout ce qui n’est pas ici, dans notre cadre est à rejeter   » , c’est à dire tout ce qui n’était pas construit par l’homme. Cette évolution m’interpelle aujourd’hui lorsque je pense que le loup est là. Je crois que ce retour n’est pas facile car il est arrivé dans un secteur différent de 300 ou 400 ans dans le passé. Les attentes des hommes ne sont aujourd’hui plus du tout les mêmes. Il n’y a pas simplement l’intérêt agro-pastoral, il y a aussi les intérêts sylvicoles, touristiques et des enjeux de société extrêmement importants. Discuter aujourd’hui du retour du loup n’est pas simplement parler du pour ou contre, c’est aussi, je pense, poser les vrais problèmes de cette évolution et de ces changements de société. L’intérêt du débat est aujourd’hui d’essayer de comprendre où est-ce que nous allons en tant qu’hommes, d’essayer de savoir s’il est possible, en conservant nos ambitions légitimes d’être humain, de pouvoir concilier dans une nature la plus idéale possible les prédateurs, honnis pendant des millénaires, ceux qui souffrent de voir leur troupeau dégradé et ceux qui pensent qu’il y a peut-être d’autres possibilités d’emploi dans d’autres orientations qui ne sont pas forcément celles d’hier.

Jean-Pierre Jouffrey : Jusqu’à l’année dernière, l’été a été tranquille. J’entendais parler du loup mais jamais je pensais que cet animal pouvait faire un tel dégât. Depuis le 26 juin, date à laquelle je suis monté en montagne, j’ai été attaqué tous les jours. J’ai eu 101 brebis égorgées au total, j’ai passé 100 jours à les garder, jour et nuit. Il m’ont pris une brebis par jour. Quand j’ai crié   » les loups m’attaquent   » , personne n’est venu sur place constater les dégâts, ni les pouvoirs publics, ni les scientifiques qui étudient le loup. J’ai passé trois mois tout seul, à part une fédération qui est venue un peu me voir. J’ai été complètement isolé. Alors lorsque des gens disent que c’est peut-être des chiens ou un lynx et qu’ils ne sont jamais venus voir sur place, comment peuvent-ils le savoir ? Moi, je dis que c’était un loup, j’ai gardé mes brebis 100 jours, même la nuit, et faire cela ce n’est pas un travail. On ne demande à personne de travailler 24 heures sur 24. Quand on pense à la politique des 35 heures par semaine, nous, les bergers, sommes un cas exceptionnel, on peut travailler 24 heures sur 24. C’est ce que les gens de la DDAF m’ont répondu :   » un berger ne doit pas quitter son troupeau   » . Expliquez-moi comment peut-on faire pour travailler comme ça ? Quand ce sont des gens de bureau qui calculent notre travail je ne peux pas trop le comprendre. Depuis l’âge de 14 ans j’ai toujours fait cela, j’ai 48 ans, je connais mon métier et je ne pense pas avoir fait d’erreur. Le loup, je dis qu’il faut l’éliminer car on ne pourra rien faire avec. Ce ne sont pas des loups qui viennent d’Italie, ce sont des loups lâchés. Je suis un des derniers éleveurs transhumants à être monté au pays d’Allevard et des confrères, qui sont derrière cette région en allant sur l’Italie, la Savoie, n’ont été attaqués qu’au mois d’août, comment expliquer qu’ils soient venus d’Italie m’attaquer le 26 juin et soient repartis sur l’Italie après ?

Jean-Claude Duclos : Je crois que vous êtes largement soutenu ce soir. Il serait intéressant, pour nous qui ne connaissons pas dans le détail ce que vous avez vécu, que vous expliquiez très concrètement quand ont eu lieu les premières attaques, comment se sont-elles manifestées, comment les avez-vous observées et comment avez-vous eu tout de suite la conviction, contre tout le monde, que le loup était le véritable coupable de cette tuerie ?

Jean-Pierre Jouffrey : Au début, je n’étais pas très sûr du loup, et quand j’ai vu le premier animal égorgé, c’était un petit agneau, j’ai pensé à un chien. Je n’ai pas quitté mes brebis de la nuit. Le lendemain, je suis allé boire le café au chalet, et quand je suis revenu, en l’espace d’une heure, j’ai trouvé un gros bélier égorgé. Et cela a recommencé. Les quatre premières bêtes tuées étaient les quatre béliers, les plus grosses bêtes du troupeau. Cela a continué tout l’été et je n’ai pas quitté mes brebis à part de temps en temps une heure, car moi aussi je me lave, je bois mon café et je mange un petit peu. J’ai même dormi une semaine dans la neige en automne et des bêtes ont été égorgées à côté de moi. Les sept dernières brebis sont restées à mourir comme ça, naturellement. Pendant l’été, je les achevais pour ne pas les laisser souffrir. En tant que berger on ne peut pas accepter un truc pareil. Ce monsieur, quand il a fini son travail on lui donne sa paye et on lui dit   » maintenant tu peux partir   » . Pour moi c’est un peu ça : mes brebis se font égorger, on dit :   » Tiens ! voilà 500 francs, tais-toi et va-t-en !   » . Mais ce n’est pas comme cela que je veux travailler, je suis fier de mon travail, je le fais et veux le faire profiter.

Jean-Claude Duclos : La parole est maintenant à Jean-François Dobremez. Expliquez-nous exactement en quoi consiste votre mission et comment vous l’avez conduite jusqu’à présent ?

Jean-François Dobremez : Vous avez bien compris que le loup a réveillé des antagonismes dans la société, vous venez de le voir, et lorsque au début de 1996, l’Etat et en particulier le ministère de l’environnement et le directeur de la nature et des paysages furent confrontés à des violences verbales et même physiques dans les Alpes-Maritimes à propos du loup, il a fallu trouver un médiateur. Un médiateur doit être consensuel et doit avoir un certain nombre de qualités, ou du moins de charges, pour qu’il soit accepté par les uns et les autres.

Je suis un serviteur de l’Etat, un fonctionnaire, et j’ai la particularité d’être à la fois engagé par mes responsabilités dans les activités de chasse parce que je suis président du Conseil Scientifique de l’Office national de la chasse, membre du Conseil national de la chasse et de la faune sauvage, je suis chasseur et même lieutenant de louveterie, mais je suis aussi, et depuis toujours, engagé dans les mouvements de protection de la nature. De plus, je suis fils, petit fils, arrière petit fils et père d’éleveurs, et j’ai dans le champ devant ma maison un certain nombre de moutons qui crèvent, non pas du loup, mais d’attaques de chiens qui se sont produites cet été. Je crois donc connaître le problème.

Je suis arrivé début 1996 dans les Alpes-Maritimes avec une mission d’inspection et de médiation.   » Inspection   » , signifie qu’il faut essayer d’analyser si l’Etat et ses services, préfecture, direction départementale de l’agriculture et de la forêt, etc., ont bien mis en oeuvre tous les moyens nécessaires pour assurer la paix publique.   » Médiation   » , signifie qu’il faut écouter les uns et les autres, leurs arguments, leurs plaintes et rendre compte au ministre.

J’ai donc rencontré d’abord des élus, puisque ce sont eux qui représentent les acteurs, sénateurs, députés, conseillers généraux, conseillers régionaux, maires. Je vous passe les incidents avec les élus car le loup représente dans l’ensemble des Alpes un enjeu électoral très fort. J’ai rencontré ensuite les organisations professionnelles agricoles, chambre d’agriculture, fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, CNJA, fédération départementale ovine, syndicat caprin, etc., et le président de la fédération nationale ovine que j’avais rencontré quelques années auparavant à propos du lynx. J’ai rencontré ensuite le monde cynégétique : l’association des chasseurs de montagne, la fédération des chasseurs des Alpes-Maritimes, la louveterie, etc., et puis les administrations et les établissements publics. J’ai pu faire un constat. Tout d’abord, le retour du loup était inattendu alors que, dès 1987, a été tué le fameux loup de Fontans qui était sans doute un avant garde du retour du loup. Dès 1990, un certain nombre de prélèvements inexpliqués sur la faune sauvage et domestique se produisent. A l’automne 1992, deux loups ont été vus, ce qui a provoqué l’émoi des éleveurs de moutons et l’émoi des chasseurs. Pour les éleveurs de moutons, la réaction est simple à comprendre car en 1993 une cinquantaine de moutons sont indemnisés ; en 1994 : 200 moutons ; en 1995 : 500 et en 1996, 1997 et 1998 : à peu près 1000 moutons par an.   » Indemnisé   » , signifie que l’on soupçonne le loup comme étant à l’origine de la mort des bêtes. La réaction de l’administration a alors été très rapide puisque six mois seulement après le retour du loup, il y avait déjà un comité de suivi à la direction départementale de l’agriculture et de la forêt et moins d’un an après, des mesures de compensation étaient mises en oeuvre. Après ces mesures, sont venues les mesures de prévention, sans doute les plus utiles, avec les chiens Patou, les cabanes d’altitude, les aides berger, etc.

A partir de ce constat, j’ai effectué quelques commentaires. D’une part cette situation était insupportable pour certains éleveurs, d’autre part se répandait la rumeur d’un complot visant à réintroduire volontairement le loup dans les Alpes-Maritimes   » . J’ai constaté également qu’il s’agissait d’un conflit environnemental d’un nouveau type entre des éleveurs, eux-mêmes un peu les garants de l’entretien de la nature et qui à ce titre ont le droit à tout le respect des écologistes, et un animal sauvage et emblématique qui, lui aussi, a droit à tout le respect des écologistes et des autres. Les chasseurs étaient plutôt modérés, même si quelques uns voyaient dans le loup un concurrent malhonnête.

J’ai donc proposé à la ministre de faire dans un premier temps la lumière sur l’origine du loup. Les études ont mis environ deux ans mais ont assuré qu’il ne s’agissait en aucun cas d’une réintroduction volontaire, ceci étant conforté par une analyse historique de la progression du loup depuis les Abruzzes en 1950 jusque dans les Alpes-Maritimes en 1992, et par les analyses génétiques qui ont montré la compatibilité entre les loups Italiens et les loups capturés dans les Alpes-Maritimes, et plus récemment les indices de loups dans les Alpes Savoisiennes et Dauphinoises. J’ai poussé les pouvoirs publics à être très clairs et transparents sur le loup, ce qui n’avait pas été pleinement le cas jusqu’en 1996.

J’ai bien compris que le retour du loup ne faisait que mettre en évidence les difficultés du système d’élevage et de la filière ovine dans son ensemble dans les Alpes-Maritimes, sachant que ceci n’est pas tout à fait valable pour les Alpes du nord. Il était donc essentiel d’améliorer la filière ovine et le système d’élevage, ce qui a été confié à un centre bien connu des éleveurs, le CERPAM (Centre d’études et de réalisations pastorales Alpes-Méditerranée).

Enfin, il fallait évidemment assurer la pérennité de la compensation et de la prévention des attaques, ce qui demande du temps car cela oblige les bergers à de nouveaux comportements. Il est certain qu’il y a des conditions nécessaires à cela. Il faut un vrai dialogue entre les différentes parties.

Si la nation veut protéger le loup, et il semble bien d’après les sondages effectués que c’est une volonté exprimée par plus de 80% de la population française, elle doit protéger aussi ses éleveurs, ce qui coûte cher. C’est donc le rôle de l’Etat et en particulier du ministère de l’environnement d’assurer des solutions financières pérennes, ce qui est assuré pour les trois années à venir par un programme européen nommé LIFE.

Jean Blanc : Il y a une incertitude dans cette chose là qu’il est important de préciser : le loup que l’on vous propose aujourd’hui et que l’on propose aux éleveurs et à l’admiration des foules n’est pas l’ancien loup, celui du Moyen Age qui était pourchassé et éventuellement tué, qui était chassé par les seigneurs avec le plus grand plaisir, qui était refoulé. Non, ce loup, tenez-vous bien car c’est une contradiction avec toutes les règles de l’écologie, n’a pas de prédateur, il est libre, il peut aller où il veut et est défendu par la loi ; si quelqu’un l’abat il va en prison et doit payer des dommages énormes. Ce loup n’est donc pas le loup ancien dont on parle, ni le loup sauvage que l’on connaît.

Le loup n’est pas un inconnu, il est même très connu. Comme il a été autrefois très pourchassé pour des raisons précisés, parce qu’il pourchassait et ensuite parce que c’était une véritable joie, les chasseurs ont longuement parlé du loup dans leurs manuels de vénerie. L’ancien loup n’est pas un inconnu. On connaît très bien quels sont ses choix de territoire. On se demande donc pourquoi il est en alpage. Parce qu’il n’y a pas de citadins ? Son territoire traditionnel est bien connu, il est constitué de collines de basse altitude, de vallons boisés, avec des haies, de grands terrains de culture et de maisons d’homme. Le loup est un parasite de l’homme. Ses terrains sont, par exemple, les Terres froides, le bout de la vallée du Grésivaudan, la Camargue où il a tellement sévi. Et pourquoi pas le bois de Boulogne ?

Les urbains se fabriquent des divertissements, des zoos, vont voir en été cavaler les chamois :   » Mon Dieu comme c’est beau les chamois !   » Ils vont voir les bergers :   » Mon Dieu comme ils sentent bon les bergers !   » Ils vont voir les loups parce que c’est un animal extraordinaire, dont on leur a parlé quand ils étaient gosses. C’est pour cela que l’on défend le loup.

Pourquoi en montagne ? Et combien de temps en montagne ? Car le problème de la liberté totale du loup pose le problème de sa frontière dont il faudra bien un jour se préoccuper. Je me dis que la première frontière pourrait être l’école primaire de Montchaffrey, située actuellement à trois kilomètres du loup. Quand il rentrera dans l’école maternelle, on lui dira :   » HOU, HOU ! Cette fois tu es allé trop loin   » . Ou bien, puisque vous avez vu le loup à la télévision et qu’il fait toutes les poubelles de la ville, pourquoi pas à la boucherie du cour Berriat ? C’est un bon endroit pour arrêter le loup et lui dire :   » HOU, HOU, loup fais attention   » . Quand on voudra l’arrêter, on sera en contradiction avec la convention de Berne car elle l’interdit. Vous ne pouvez pas prendre un fusil et, en légitime défense, tuer le loup. Je pose donc simplement la question aux gens qui veulent le loup : Où est la frontière prévue, et dites moi qu’est ce qu’on en fera ? Car la frontière est actuellement bien agréable, ces sacrés bergers en montagne avec leurs troupeaux, vous vous rendez compte de l’abondance de viande que cela représente… Le loup dans le Mercantour n’est pas à sa place, c’est trop vaste et trop dégarni.

De plus, le mouton s’en va à l’automne, à l’abri du loup et ne reviendra qu’au printemps. Mais le loup est là et mange les jolies petites bêtes que l’on regarde se cabrer en été, les chamois, les mouflons.

Le cas des mouflons est spécial, c’est un animal qui ne peut pas supporter l’altitude, ni la neige, qui aime le soleil et les rochers secs, qui crève là-haut de toute façon, et qui crève encore mieux si on le fait démolir par le loup. Cela revient à des crimes dans des camps de concentration, il faut bien appeler les choses par leurs noms ! Car le loup n’est pas méchant, il est simplement loup. Quand il attaque en meute, il démolit tant qu’il peut en espérant laisser sur place de la marchandise pour après demain matin. C’est son marché. Il peut vous laisser une bête avec un gigot arraché, les tripes qui sortent du ventre et la laisser crever dans la neige.

Maintenant on fait des stages de loup, on peut aller dans la montagne hurler avec les loups. Au dernier réveillon on était invité à aller vivre dans la forêt avec les loups et danser avec les loups. C’était marqué dans les prospectus :   » venez danser avec les loups, cela vous coûtera 5000 balles   » !

Qu’est ce que c’est que ces naturalistes, je ne parle pas de ceux qui sont à notre table, qui s’attachent aux animaux emblématiques. Il y a l’aigle, parce qu’il a survolé tous les empires, toutes les royautés, toutes les dictatures. Il y a le flamant rose, parce qu’il est beau. On joue avec des passions et des fanatismes de choses emblématiques qui n’ont rien à voir avec la nature. Car si on s’intéresse à la nature, il y a des vivants intéressants. Les bacilles du choléra ou de la peste sont par exemple des êtres vivants du plus grand intérêt. Ils sont tellement hauts dans l’échelle biologique qu’ils sont prédateurs de l’homme qui est pourtant le prédateur universel, donc ce sont de grands prédateurs. D’autre part, on demande toujours la biodiversité, il faut donc les garder. La sélection naturelle. Bien sûr, le bacille du choléra fait de la sélection et de la régulation de population. Quand on dit que le loup s’attaquera d’abord aux malades, aux fatigués, oui ! Mais le bacille aussi, il s’attaque d’abord aux populations misérables, sous alimentées, sans hygiène, entassées dans les coins et qui ont une sale gueule par-dessus le marché ! Mais ça c’est une autre histoire…

Alors pourquoi cette passion pour le loup, qu’est ce que c’est que ces salades, c’est de la religion, c’est une secte, c’est quoi ? Ce n’est pas la nature, ce n’est même pas du naturalisme ! Puisque le loup est abandonné en toute liberté, il faudra bien poser la question de savoir qui sera responsable en cas de malheur. L’Europe, la France qui a signé le traité de Berne, le préfet, les gens qui ont prôné le loup ? Qui payera en cas de malheur ?

Il y a quelque chose d’énorme, quand on dit, et j’ai le texte :   » De quoi les éleveurs se plaignent-ils puisqu’ils sont indemnisés ?   » . Le jour où une randonneuse se baladera avec son petit chien, qu’il se fera étriper et que les tripes s’étaleront sur six mètres de long, on lui donnera 100 francs et on lui dira :   » Vous êtes indemnisée   » . Qu’est-ce qui vous fait penser que pour un berger, l’horreur du massacre de ses bêtes correspond au prix de la bête ? C’est affreux de penser des choses pareilles.

De plus, on ne va pas tarder à dire que les bergers sont des gens qui coûtent cher ; ils seront responsables de beaucoup de dégâts causés par des molosses, les mâtins, qu’on leur colle. Une loi du XVII e siècle disait qu’aucun berger n’avait le droit de circuler avec ces mâtins s’ils n’étaient pas enchaînés avec des chaînes de fer car ils étaient dressés à chasser le loup et les bandits. Actuellement les mâtins sont complètement ramollis, mais supposons qu’on leur redonne la vigueur du Moyen Age, peut-être alors sortiront-ils contre le loup mais aussi contre le touriste, s’il s’approche. Le dégât se produira fatalement beaucoup plus rapidement avec le mâtin qu’avec le loup. C’est un animal qui est fait pour ça.

On nous dit également :   » Le berger n’est vraiment pas fort   » ; il a un troupeau de 2800 bêtes, il garde encore en Camargue, ses parents aussi, son grand-père aussi, sur des montagnes qu’il connaît bien, il est depuis 1928 sur la même, c’est donc un type qui n’est pas fort… Cela a été dit et redit, je peux sortir les textes :   » Le berger ne sait pas garder, il ne garde pas   » .

On a le droit d’être ignorant, d’être inculte tant qu’on ne parle pas, mais l’inculture du côté pastoral est un drame. Il faudrait peut-être enseigner la culture pastorale, tout au moins la faire comprendre ou respecter.

Imaginer un homme, le matin, dans sa cabane. Il est allé pisser un coup, puis attend de voir comment la journée viendra. Il regarde le temps, comment les bêtes veulent démarrer d’elles-mêmes, il les arrête, puis part. Il prend les meilleures, celles qui d’habitude viennent et sont toujours collées à lui, et s’en va. Il fait tirer,   » faï tira, faï tira…   » et tire le troupeau un kilomètre, sans se soucier de ce qui suit ou ne suit pas. Cela n’a pas d’importance puisqu’il est sûr de l’herbe et que les bêtes faibles sont les dernières. Le troupeau, à ce moment là, est comme un fil, et toutes les bêtes mangeront, auront leur goulée et feront la tournée selon leur force. Puis il les laisse partir et elles prennent le biais. Elles se mettent à manger suivant un angle en travers tellement ancien qu’il est imprimé dans la montagne. Le berger se trouve avec des bêtes bien alignées, afin qu’elles aient toutes une ration. Cela peut faire 800 ou 1000 mètres. De plus, comme la montagne est vallonnée, une partie du troupeau est déjà derrière la bosse pendant qu’une autre est en train de suivre. Le berger, s’il est intelligent, se place à un endroit stratégique où peut se produire un incident, où le troupeau peut déraper derrière la montagne, passer à côté, chez le voisin. Il attend donc le troupeau, peut-être pendant deux heures, tout seul, au boulot. Puis, tout d’un coup, 60 à 80 bêtes très fortes, toujours les mêmes, arrivent sur lui en mangeant. Il les fait se retourner et prendre un biais à gauche. Les bêtes d’en dessous les voient et tout le troupeau biaise. Je ne vous raconte pas tout, il faut qu’elles aillent à l’eau et au sel. Je vous explique ici la meilleure garde du monde, qui se passe le 10 août par très grand beau temps. L’automne dans le Vercors, avec du brouillard c’est diffèrent. Dans ces conditions, le berger suit le troupeau dans sa tête, sans voir les bêtes. Supposons que ces bêtes s’approchent de la falaise et qu’il y ait le loup ; comment le berger peut-il intervenir ? Il n’ose pas intervenir lui-même et n’envoie jamais le chien dans une situation pareille. Et je ne parle pas de la grêle, de la neige, de la pluie et de tout ce qui se passe dans un été où un berger change sa garde constamment. Il faut qu’il ait un sens permanent de la vie du troupeau. Au printemps, dans certaines montagnes, il doit absolument raser l’herbe d’en bas pour en avoir à l’automne. Il faut garder les bêtes en lisière de forêt et le loup en lisière de forêt… Les gens qui parlent de bien garder le troupeau contre le loup sont des gens incultes.

Jean-Claude Duclos : Il est difficile de juger de la compatibilité de la présence du berger et du loup sans connaître le savoir faire et le métier du berger. Il était important que Jean Blanc le rappelle.

Depuis la salle : On a dit que l’indemnité était de 20 fois une journée de travail. Vous avez raison car la loi de 1903 donne 100 francs. J’ai vérifié dans les carnets de mon grand-père qui, en tant que Maire, donnait des salaires aux employés municipaux, donc le SMIC de l’époque, qui étaient de 2 francs et 50 centimes, donc 40 fois. Pour exterminer le loup, on a donné jusqu’à 40 fois. Je pense au cas de Monsieur Dobremez, cela n’a rien à voir avec un berger. Ses moutons sont comme chez nous, dans un parc devant la maison, alors qu’un transhumant, c’est dans des ravins. On parle des droits de l’enfant. Il ne faut pas oublier que par le passé des enfants ont été dévorés. Beaucoup disent que ce n’est pas vrai. En campagne cela arrivait souvent le soir, n’ayant pas de sanitaires à l’intérieur, l’enfant sortait et se faisait croquer.

Depuis la salle : Lecture de textes d’archives du dix-huitième siècle attestant du décès de personnes attaquées par des loups.

Armand Fayard : Je crois que si nous voulons avancer, il faut s’élever au-dessus de ce genre de considérations car si de tout temps il y a eu des morts à cause du loup et des chiens, depuis 50 ans, dans une période où l’on peut faire statistiquement des vérifications, ce qui n’était pas possible avant, il n’y a pas eu, sauf erreur de ma part, d’attaque de loup, que ce soit dans les pays de l’est, les pays canadiens, les Etats-Unis, l’Espagne et le Portugal. Il n’y a eu à ma connaissance qu’une attaque d’enfant, dont on a pas pu prouver exactement la cause, en 50 ans et dans le monde entier. Il faut savoir aussi que les données anciennes sont courtes, répétées souvent et déformées dans la littérature et les journaux. Souvent il s’agit de la même phrase, reprise et déformée par le journaliste qui en vivait probablement comme aujourd’hui. On sait effectivement, cela a été prouvé quand on est allé jusqu’au bout, que les attaques sur les enfants étaient des faits de chiens ou de loups enragés. Le comportement de tous les animaux, et même de l’homme, change radicalement lorsqu’il y a la rage. Le grand danger aujourd’hui, et pas seulement pour le loup, est le maintient de cette maladie. Je suis actuellement très surpris d’entendre des paroles qui me semblent faire resurgir des discours des siècles passés. Je pense qu’aujourd’hui nous pourrions être raisonnables et essayer de réfléchir à ce problème, qui ne concerne pas que les agriculteurs et les éleveurs mais pour tout le monde, car il engage notre avenir. C’est un problème d’évaluation et de changement de société. Il faut voir comment l’on pourra accepter ce qui se produit dans toute l’Europe et pas seulement en France. Les changements de mentalités qui veulent qu’il y ait depuis 25 ans une réflexion sur l’intérêt de l’environnement dans notre société pour nous et nos enfants, font que les populations animales se redéveloppent, et ce n’est pas simplement le problème du loup, c’est le problème de l’ours, des grands rapaces et d’autres espèces moins connues du grand public mais qui bénéficient de ces mesures de protection qui sont un bon sens. L’homme se rend compte aujourd’hui qu’il n’est pas l’espèce unique sur terre. Il faudra voir entre nous, entre gens sensés, s’il n’y a pas un moyen d’avancer correctement et de sortir de cette crise du pastoralisme, qui n’est pas simplement la faute du loup, et d’arrêter de crier :   » Haro au loup ! Haro à la bête méchante !   » ; ne pas ressortir de chiffres des archives des XVIII e et XIX e siècles qui n’ont plus aujourd’hui de raison d’être.

(intervention de la salle, hors micro)

Jean-François Dobremez : Je m’en tiens à mon rôle de médiateur qui est de subir des attaques de tous les côtés. Je voudrais dire à Jean Blanc, très cultivé, qu’il a oublié la date de 1212 : Saint François d’Assise,   » frère loup   » . Même à l’époque où on tuait les loups, quelques personnes pouvaient vivre avec eux. Je suis peut-être le seul à avoir vu des loups sauvages. Ce n’était pas en France. Ils pouvaient vivre avec les bergers, parce que le Tibet, le Népal et l’Afghanistan sont des pays de berger. Mon rôle n’est pas de transposer cela et faire en sorte que les bergers français gardent à trois 100 moutons avec trois chiens car je sais que les impératifs économiques, les lois agricoles qui se sont succédées depuis 1952, la politique agricole commune et la mondialisation des échanges obligent à avoir des troupeaux de plus en plus grands. Mon objectif est d’essayer de concilier dans la société française la vie des uns et des autres.

(interruption, changement de cassette)

(…) puisque le président de la Fédération m’a demandé d’écrire quelques éléments de perspective historique, je veux vous dire, éleveurs, que votre métier a changé et qu’il change tous les jours, et qu’il faut vous préparer à ce qu’il change encore dans les années à venir parce que la politique agricole commune et la mondialisation changent. Vous vous accrochez à ce que vous vivez aujourd’hui et qui est diffèrent de ce que vous avez vécu il y a dix ans et de ce qu’ont vécu vos parents et vos grands-parents auxquels vous vous rattachez, comme je me rattache, moi aussi, à ce qu’ont vécu mes parents et mes grands-parents. Ce n’est pas logique. Soyez sûrs que la société, dans son ensemble, veut que vous restiez berger, dans les meilleures conditions possibles, avec cependant une nouvelle donnée qui n’est qu’une parmi des dizaines d’autres, qui elles-mêmes sont arrivées dans votre vie depuis quelques années. Ce n’est pas un discours pour vous apaiser ou vous anéantir ; je dis simplement que le métier d’éleveur, comme le métier d’agriculteur, a changé et change tous les jours, il faut vous y préparer.

(intervention dans la salle hors micro)

Depuis la salle : On n’achète pas tout avec l’argent

Jean-François Dobremez : Ce n’est pas seulement avec l’argent, c’est avec de la solidarité nationale

Depuis la salle : Qu’est ce que vous appelez   » solidarité nationale   » , parce que sur le terrain il faut le vivre. J’ai connu cela l’été dernier.

(interruption de l’enregistrement)

Armand Fayard : La population des loups est surtout connue dans le Mercantour puisqu’il y a des inventaires précis. Il y a entre 4 et 5 meutes, soit 25 à 30 individus, et il semblerait maintenant que les territoires soient établis ce qui stabilise la densité. Il faut y ajouter les cas cités aujourd’hui à travers les attaques de troupeau, qui laissent supposer effectivement l’existence de quelques loups supplémentaires dans les Alpes françaises. On ne peut pas savoir le nombre parce que se sont des espèces libres, et même si cela peut choquer, je trouve que la liberté est quelque chose de très beau chez l’homme et dans la nature.

Depuis la salle : Oui. Mais le loup enlève de la liberté à l’homme.

Depuis la salle : Je ne suis ni berger ni chasseur, j’ai habité jusqu’à 14 ans à 800 mètres d’altitude et je pense retourner dans mon petit village pour ma retraite. Je pense que j’aurais des soucis parce que je devrais traverser à pied à minuit un bois de 600 ou 700 mètres. C’est un problème pour les enfants et tout le monde. Quand je paye un mouton je veux le manger, alors puisqu’on va payer ces bergers, moi qui n’ai rien à voir avec eux, je me demande qui va payer ces frais ?

Jean-François Dobremez : Je réponds au nom de l’Etat que je sers. Je ferais une comparaison ; lorsque vous payez le mouton au berger, vous remboursez une partie de l’indemnité spéciale montagne, une partie de la prime compensatoire ovine, etc., dont les montants varient selon les régions. Aujourd’hui, c’est le ministère de l’environnement qui supporte les frais liés au loup, alors que l’Etat n’est pas tenu de rembourser les dégâts dus aux espèces protégées. Il prend donc un certain nombre de circonvolutions pour que, malgré ce non-droit, des associations nationales et internationales ou des fondations prennent en charge ces droits. De plus en plus, l’Europe participe, à raison de 50%, à ces compensations. Vous savez que l’Europe participe à bien d’autres compensations qui nous intéressent tous, en matière d’industrialisation, de transport ; etc.

(interventions salle, hors micro)

Depuis la salle : Je suis berger saisonnier et je travaille pour des transhumants de Camargue et de la région de Manosque, dans le Parc national des Ecrins et cette année dans le Queyras. Le problème du statut de berger a été, à mon avis, évoqué un peu trop rapidement. Je parle pour ma chapelle mais je crois qu’il faut lever un quiproquo. Eleveur et berger sont deux statuts différents. Le berger est un salarié et n’est pas propriétaire de son troupeau, ce qui induit des comportements, me semble-t-il, différents. Un berger passionné se livrera corps et âme pour défendre son troupeau. Les enjeux ne sont pas les mêmes et je me pose la question suivante, compte tenu du phénomène actuel, va-t-on faire perdurer cette situation ? Car dans quelque temps il n’y aura plus de berger. Un berger gagne 6500 francs par mois, il dort dans une cabane, c’est un travail saisonnier, moi je ne fais que le berger saisonnier, mais il y a des bergers qui travaillent tout l’hiver. Il faut alors faire un petit distinguo : un éleveur transhumant, en général des Bouches du Rhône, du Gard, du Vaucluse ou des Alpes-Maritimes, est très occupé pendant l’été à rentrer la première, deuxième et troisième coupe puisque la quatrième sera mangée l’hiver, donc le seul berger présent en alpage est le berger salarié. Historiquement, dans le processus de transhumance, le berger était le dernier de la famille, le marginal, le gars qui se laissait aller sur la boisson, etc. Ce n’est pas une caricature car ce sont des gens que je côtoie un peu. Cette génération est en train de disparaître lentement. Il y a eu également toute une génération de soixante-huitards, dont je fais peut-être partie, qui sont passionnés par ce qu’ils font, et c’est vrai que tant qu’ils pourront faire ce boulot ils le feront avec passion, mais je ne suis pas convaincu que pour 6500 francs il y ait une relève qui puisse dormir dans un manteau comme le faisaient nos ancêtres, dans des cabanes, au gré du vent, de la pluie et du brouillard. Alors est-ce que cette activité pastorale sera compatible avec cette réintroduction, est-ce que cette activité de réintroduction sera compatible avec les aspects touristiques. En discutant avec les gens on voit que certains sont très attirés par cela mais il y en a des craintifs à l’idée d’avoir le loup. Il y a tout un tas de fantasmes, on en a largement parlé, mais il n’empêche que tous ces aspects sont bien réels et qu’il faudra en tenir compte.

Jean-Claude Duclos : Marc Mallen qui se penche depuis longtemps sur le statut de berger, et sur la spécificité de ce métier voudra sans doute vous répondre.

Marc Mallen : Je travaille beaucoup sur les problèmes de formation des bergers salariés, pour faire le distinguo avec les éleveurs, et sur les problèmes de statut, de pluriactivité, sur tous ces aspects là. Il est vrai aujourd’hui que les bergers, par rapport à la polémique sur le loup, sont en train de se regrouper. Nous avons monté un groupe de bergers dans les Alpes du sud depuis le 10 décembre car ils en ont ressenti le besoin pour faire valoir leur point de vue. Beaucoup de bergers salariés se rendent compte qu’ils se trouvent dans une fonction de lien qui est la leur depuis toujours. Ils ne prennent pas réellement part à cette polémique mais essayent simplement de dire qu’ils sont là évidemment pour défendre le capital de l’éleveur qui est le troupeau, pour assurer sa sécurité et qu’ils joueront leur rôle jusqu’au bout ; ce qui n’empêche pas qu’ils sont aussi à l’écoute du reste de la société, en contact avec des touristes, avec d’autres types de gens, et sont là aussi pour discuter avec eux et pour essayer de créer un lien extrêmement important entre deux parties de la société. C’est peut-être un petit peu caricatural mais c’est une réalité. Ils essayent par tous les moyens, aussi bien par des manifestations comme un concours de tonte organisé prochainement à Embrun, des fêtes de la transhumance, que des centres d’interprétation de la culture pastorale qui se montent un peu partout dans les Alpes du sud, je pense à Saint-Martin-de-Crau ou Champoléon où nous essayons de permettre un regroupement entre des gens du métier et des gens qui ne le sont pas afin de créer une discussion ; car on se rend compte que le problème du loup est beaucoup plus large que la polémique. C’est un problème politique, j’ai envie de dire que le loup est de gauche et la brebis de droite, c’est très caricatural mais on en arrive à ce genre de discussion aujourd’hui. Le dialogue que l’on a eu ce soir en est la preuve. Les bergers salariés essayent donc de jouer cette fonction là.

Depuis la salle : On n’est pas pour un nouveau système d’esclavage !

Marc Mallen : Le problème n’est pas de dire :   » on va essayer d’inféoder les bergers à un système dans lequel le loup serait compté dans le fonctionnement   » , car les bergers n’en sont pas là actuellement. Ils essayent déjà d’être à l’écoute de leur propre problème de reconnaissance de leur identité, de leur statut, car on parle de 6500 balles mais je connais pas mal de bergers payés 2000 balles et le reste   » au black   » , il y a donc des problèmes à ce niveau là. Il y a également aujourd’hui un problème de stress qu’il faut absolument enlever ; vivre 24 heures sur 24 à dormir sous la neige avec les bêtes est un problème. Les bergers essayent de réfléchir d’une façon pertinente aux mesures de prévention, avec les deux parties qui sont concernées par la polémique, sans pour autant dire :   » on va gober tous ce qu’on nous donne   » .

Depuis la salle (le berger salarié) : Une nouvelle organisation de travail du berger nécessite que la montagne s’y prête. J’ai été confronté à cette affaire sans subir d’attaque, car les éleveurs avec qui je travaillais cette année dans le Queyras ont eu des attaques l’an dernier et une véritable psychose s’est installée. J’étais très impressionné de garder avec des filets de 1,20 mètre de haut et avec un fusil à chevrotine, moi qui suis plutôt pacifique cela me faisait peur. Ceci est certes folklorique, mais le travail est complètement diffèrent. Lorsque l’on donne un biais au troupeau, s’il correspond à un parcours où la bête aura sa ration et que cela se termine au moment de la couchade à un endroit relativement protégé, le berger pourra se mettre à l’abri, se restaurer et dormir ou retourner à la cabane si ce n’est pas trop loin. S’il ne peut pas faire cela parce que la montagne ne s’y prête pas, comment fera-t-il ? Entre chaque parcours je mettais les bêtes au parc, avec les chiens devant. La montagne se prêtait à ce genre de pratiques, chaque fois que je finissais le parcours je déplaçais mon parc, etc. J’ai travaillé deux années de suite dans le parc des Ecrins, au dessus de la Chapelle-en-Valgaudemard où c’est un vrai casse tête. Là, comment feront les bergers ? J’ai un frangin berger dans ces parages qui m’a dit que le jour où il y aura ces bestioles il arrêtera, et ce n’est pas la première personne qui me dit ça.

Depuis la salle (Yves Raffin) : Monsieur Fayard parlait de crise du pastoralisme ; le pastoralisme n’est pas en crise aujourd’hui. L’élevage l’est peut-être, il y a des problèmes d’adaptation, de politique européenne qui rendent plus ou moins difficile l’élevage français, mais le pastoralisme n’est pas en crise. Il l’était dans les années 60, après une vingtaine d’années d’agriculture extrêmement intensive. On avait à cette époque la moitié des animaux qu’il fallait dans les alpages de haute montagne. L’exode rural était passé par là et le pastoralisme était moribond. L’Etat s’en est ému, car même s’il a signé la convention de Berne, à la fin des années 70, il a pris des mesures extrêmement intéressantes en 1972 pour relancer le pastoralisme dans tous les massifs français. Cette politique a très bien marché. On est passé d’une situation de déprise des pâturages de haute altitude dans les années 70 à une situation aujourd’hui tout à fait satisfaisante en matière d’alpages. Ils sont occupés par des bovins et des ovins. Je parle surtout des Alpes du Nord que je connais bien. Le pastoralisme fait son travail d’entretien de l’espace et il est le seul à pouvoir le faire. Il permet de produire des animaux de très grande qualité à la fois sanitaire et organoleptique parce qu’il n’y a pas d’intrants chimiques dans la production du pastoralisme. Aujourd’hui beaucoup de gens protestent contre ces produits de l’agriculture qui sont issus de l’industrie avec tout un tas d’intrants nocifs à la santé humaine. Le pastoralisme est donc pourvoyeur de produits de très haute qualité.

Marc Mallen : Je n’ai pas parlé de crise du pastoralisme mais de crise du monde pastoral. Ce monde se sent complètement agressé par le loup et par des mesures de protection agri-environnementales qui ont dévoyé leur fonction de production, qui est leur fonction première, à une fonction de protection. Cela entraîne des comportements extrêmement pervers, proches parfois de l’extrémisme, il faut être très clairvoyant par rapport à cela. Il y a donc un énorme travail à faire avec les bergers salariés, notamment un travail de discussion avec les différentes parties pour arriver à faire coller des morceaux qui apparemment sont en train de se disloquer.

Depuis la salle (Serge Roman) : Dans la convention de Berne, il y a, je crois, un article disant que lorsqu’un animal prédateur devient gênant, on peut le déplacer. Avant d’engager des frais qui coûteront très cher à tout le monde, il faudrait peut-être voir cet article et laisser les agriculteurs en paix. Il me semble que le paysan a toujours été considéré comme faisant partie du   » bas peuple   » , et je vois qu’aujourd’hui cela s’accentue de plus en plus. On est des bergers et on a notre dignité. On parle des Droits de l’Homme et on se demande où est notre droit. Pour nous, agriculteur et éleveur, c’est une honte ce qu’on nous fait. Je fais partie d’une génération qui est restée à la campagne, beaucoup de gens de ma génération sont partis à l’extérieur, à la ville, parce que c’était mieux, parce qu’il y avait les week-end et que la terre était basse, parce que certains ne pouvaient pas s’installer… Nous, nous sommes restés, nous avons travaillé, nous avons entretenu l’espace, on en a bavé. Aujourd’hui, il y a beaucoup de gens qui arrivent avec la science infuse et qui nous disent :   » Il faut faire comme cela   » . Il y en a marre ! De plus, on commence à nous dire :   » Vous touchez des primes, vous êtes des assistés   » , alors que nous avons toujours demandé à vivre de notre revenu. Le loup est là, il n’est pas nécessaire. Je me demande si économiquement on a chiffré ce qu’il va rapporter.

Depuis la salle (Henri Falque-Vert) : Pourquoi le loup est-il actuellement une espèce protégée ? Vous vantiez la liberté ; si le loup est libre, on ne le protège pas. Il y a un moyen de rétablir les équilibres : on fait discuter des bergers transhumants, des écologistes et pourquoi pas les chasseurs, « a peut rendre des services, les chasseurs, si le loup n’est pas protégé.

Armand Fayard : J’essaye de voir sur l’avenir. Il y a un phénomène sur lequel on ne peut pas revenir car il y a l’Europe. Il faut bien se faire à l’idée que la faune et les prédateurs reviennent et qu’il faudra essayer de trouver des solutions. Il est difficile de croire que l’être humain pensant peut vouloir éradiquer comme cela des espèces. Je crois que c’est un patrimoine exceptionnel dont il faut essayer de préserver le maximum. Lorsque l’on a pensé qu’une espèce comme le loup allait sans doute disparaître parce que les populations se fragmentaient et étaient peu à peu exterminées, comme en Angleterre, en France ou en Allemagne, on a fait des lois de protection. Ceci dit, il ne faut pas prendre les écologistes et les scientifiques pour des êtres obtus, tout cela évolue et dans l’avenir on parlera de gestion, ce qui conduira peut-être à faire en sorte que des espèces aujourd’hui protégées ne le seront pas forcément au sens strict du terme dans l’avenir, ce qui permettra d’enlever les animaux gênants, de les déplacer et peut-être de détruire ceux qui auront un comportement tout à fait anormal. Lorsque, dans l’espèce humaine, un individu a un comportement anormal, on le met à l’ombre en dehors de la société, on essaye de faire en sorte qu’il ne nuise plus et peut-être que dans ce cas là, si le loup revient et ses densités augmentent il faudra de nouveau réfléchir sur la façon de gérer un équilibre qui intégrera les activités humaines.

Depuis la salle : Ceux qui veulent le protéger, écologistes, scientifiques ou autres, n’ont qu’à mettre la main à la poche. Monsieur Jouffrey a passé ses nuits à travailler, alors que normalement il aurait du dormir dans son chalet. Il a droit au repos comme tout le monde. Monsieur Dobremez a dit que 80% des gens étaient favorables à la réintroduction du loup, mais si on demandait à ces 80% de mettre personnellement de l’argent pour le réintroduire et faciliter son insertion je ne suis pas sûr que le pourcentage resterait aussi élevé.

Depuis la salle : Le loup est un chien sauvage. bientôt les chiens dangereux seront interdits. Que ceux qui veulent le protéger le prennent chez eux, l’attachent et le muselle. Qu’ils n’embêtent pas les autres avec leur animal préféré.

Armand Fayard : Sur le plan scientifique, le loup n’est pas un chien. Le chien descend du loup depuis 10000 à 15000 ans selon les paléontologistes.

(intervention salle hors micro)

Depuis la salle : Dans plusieurs pays d’Europe, Italie, Espagne, Europe centrale, etc., il y a des loups en plus grand nombre qu’en France et depuis plus longtemps, il n’y pas d’accident de gamins, et cela fait beaucoup moins de remous qu’en France. Comment cela se passe avec les bergers, existe-t-il des techniques différentes pour garder les troupeaux ?

Marc Mallen : La grosse différence avec les pays d’Europe centrale vient du fait que la plupart de leurs troupeaux sont laitiers et demandent un effectif beaucoup plus petit, dans la mesure où il faut les traire. Nous sommes dans un système à   » viande   » , donc totalement différent, avec des troupeaux très importants. Pour exemple, dans le Queyras il y a un troupeau de 3860 bêtes gardées par un seul berger. En moyenne, un berger garde 1000 à 1200 bêtes. La présence du berger ne peut donc pas être permanente car il a le droit de mener une vie à peu près normale.

(intervention salle hors micro)

Depuis la salle : Je ne suis pas berger mais j’ai souvent vécu près d’eux. Je connais bien Monsieur Jouffrey, j’ai donc partagé tout le drame qu’il a vécu cet été. A partir des quelques loups, qui en 1998 ont fait parler d’eux dans nos massifs et dans le massif de Belledonne en particulier, et compte tenu de la prolixité de l’espèce, combien estimez-vous que nous aurons d’individus ou de meutes dans les dix ans à venir ? Actuellement quelques loups isolés vivent dans notre massif et se contentent pendant l’été des moutons de Monsieur Jouffrey et pendant l’hiver des cerfs et des chamois que nous avons eu tant de mal à protéger sur le massif – à protéger du tourisme des citadins en particulier. Mais qu’adviendra-t-il, dans dix ans, de la meute de loups qui se sera installée sur le massif de Belledonne ? Je pratique la nature depuis fort longtemps, je connais mal le loup mais je connais bien le renard. Je sais très bien que tant que la population de renard est faible, celui-ci se contente de mulots, mais dès qu’elle augmente un peu, il finit dans les poulaillers, tout près des maisons. Il est bien certain que si une ou plusieurs meutes de loups s’installent sur le massif de Belledonne vous ne manquerez pas de voir les loups attaquer les brebis, peut-être celles de monsieur Dobremez dans son parc devant sa maison, ou peut-être les génisses des syndicats d’alpagistes qui broutent la prairie alpine. Je voudrais citer quelques chiffres car je crois que dans un domaine aussi passionnel que le loup chacun restera plus ou moins campé sur ces positions : Québec : 1,541 millions de km2 ; Ontario 1,68 ; Alberta 0,66 ; Manitoba 0,65 ; Alaska 1,35 et l’Isère 7,9 km2. densité d’habitation humaine au km2 : 4,5 pour le Québec ; 9,4 pour l’Ontario ; 1,7 pour le Manitoba ; 3,5 pour l’Alberta ; 0,36 pour l’Alaska et 130 pour l’Isère. d’après les estimations de Gérard Menatori, qui était un grand spécialiste du loup, des dentistes de loup dans ces pays au 1000 km2 : 2,3 pour le Québec ; 9,3 pour l’Ontario ; 3 pour le Manitoba, etc., toutes inférieures à 10. Si on fait une extrapolation sur un massif comme celui de Belledonne que l’on peut estimer à 400 ha, j’en ai conclu qu’elle pouvait supporter 0,1 ou 0,2 loup.

Jean-Claude Duclos : Les scientifiques peuvent-ils prévoir l’évolution de la population ?

Armand Fayard : Si je répondais à cette question je ne serai plus scientifique, car on ne peut pas annoncer des chiffres comme cela ; le développement d’une dynamique de population est tellement compliqué. Ce n’est guère possible de comparer ce qui se passe au Canada, en France ou en Europe. Quand on constate qu’en dix ans les loups se sont surtout développés dans le Mercantour et sont passés de 4 à 5 peut-être pour arriver à une trentaine et qu’à partir de là on en voit 2 ou 3 dans le reste des Alpes je ne peux pas m’aventurer dans ce genre de réflexion, c’est impossible.

(intervention salle hors micro)

Depuis la salle : Je suis un citadin, et comme tous les citadins j’ai des origines rurales et montagnardes donc je suis souvent dans le village de mon grand-père, je vois vivre les gens et je comprends très bien qu’il faut que des gens vivent en montagne sinon cela n’a pas de sens. Je sais aussi qu’on a vu revenir les chevreuils, et j’ai passé des journées entières avec des amis pisteurs à les regarder aux jumelles par passion pour ce retour. Je me demande comment les Italiens et les Espagnols, pour qui le loup n’est jamais parti, gèrent-ils le problème, les populations ? Les loups peuvent-ils descendre vers les maisons habitées ? C’est tout nouveau pour nous, mais eux ont une pratique et une expérience. C’est important de savoir car ce n’est pas une extrapolation mais la réalité concrète de gens qui n’ont jamais perdu le contact avec le loup. J’ai l’impression, d’autre part, que le loup pose tous les problèmes de l’agriculture de montagne.

Jean-François Dobremez : Parmi les mesures prises par le ministère de l’environnement pour prévoir l’avenir, il y a eu réunion, à intervalles très réguliers, d’un comité international comprenant des représentants des pays européens dans lesquels vivent des loups, des biologistes, des bergers, des représentants des organismes professionnels, etc. et on s’est aperçu très rapidement qu’il y a deux sortes de comportements correspondant bien à la méditerrannéité, d’une part et à l’Europe moyenne d’autre part. Pour les pays proches de nous, Espagne et Italie, le loup est une espèce protégée. Les éleveurs et agriculteurs vivent avec eux depuis toujours ; ce qui n’empêche pas que lorsqu’un loup devient trop embêtant il ait de fortes chances d’être éliminé. Ceci réduit l’accroissement naturel de la population d’à peu près 50% par an. Ceci n’est d’ailleurs pas très diffèrent en France car nous sommes certains de la disparition de 7 loups dans les Alpes-Maritimes depuis 1994. Le comportement des pays d’Europe moyenne ou centrale est différent, de même que le comportement des pays d’Europe du nord dans lesquels le loup est parfois une espèce chassable avec un plan de chasse de zéro par an, les Finlandais en particulier trouve que c’est un meilleur moyen de protection que le statut d’espèce protégée. Il est vrai aussi que même dans les pays d’Europe centrale les animaux trop embêtants sont éliminés.

Depuis la salle : Nous avons dans les Alpes un loup venant des Abruzzes. Dans cette région les bergers ont des chiens de protection. Dans les fermes que j’ai visitées, les bergers arrivaient à avoir 3% de pertes par an alors qu’il y a des chiens sauvages, des chiens hybrides croisés avec le loup, des loups et des ours. Il y a donc, à mon avis, un problème de formation et de communication avec les bergers et une préparation à faire. Les chiens de protection permettraient aussi de réduire les pertes dues aux chiens errants. Il faut aller voir comment vivent vraiment les paysans.

Marc Mallen : En ce qui concerne les chiens de protection, la logique de l’administration française est de développer cette piste car elle permet de répondre à ce problème. Cependant, le territoire montagnard étant aujourd’hui un territoire à multi-usages, il y a des problèmes de protection des individus et donc de responsabilité des bergers par rapport à ces chiens.

Depuis la salle : Ils utilisent en Italie des chiens qui n’ont jamais perdu l’habitude de garder et de protéger les troupeaux alors qu’en France, c’est le contraire, les chiens ont un caractère instable. Aux Etats-Unis, ils ont eu les mêmes problèmes et le chien des Abruzzes s’est révélé le plus fiable.

Depuis la salle (Jean-Pierre Laurent) : Je voudrais donner le point de vue du Candide que je suis. Jean Blanc, tu nous as appris tout sur le monde et la culture pastorale, et l’exposition d’aujourd’hui montre que ces gens étaient des gens cultivés ; c’est à respecter infiniment. On ne va pas les persécuter, on en a besoin tant qu’on mange des côtelettes et des gigots d’agneaux. Il y a cette autre culture, celle du loup, et même si ce n’est pas le bon loup, ça ne fait rien, il est là malgré tout, il a l’intelligence lui aussi. Il vit d’une façon tellement culturelle, tellement maligne par rapport à la grande genèse de l’animal, on ne va pas jeter une culture sur une culture, battre les mondes. La grande qualité du monde pastoral et montagnard est l’intelligence, c’est à dire la capacité de s’adapter à toutes les situations, à trouver des solutions quand la pente est trop grande, quand l’air est trop fort, quand le ciel est trop dangereux, et aujourd’hui c’est un problème de réflexion et de compréhension de société. Il y a un regard qui nous gêne, celui de l’urbain, parce que lui, sur ces deux cultures tout à fait conciliables, il jette un regard idiot, imbécile, il n’y comprend rien. Il jette le regard du voyeur, celui qui va voir des singes dans des cages, il va voir des loups qu’il ne trouvera jamais. Le problème aujourd’hui est que l’on a folklorisé la montagne d’une façon tellement stupide que nos clients, nos amis touristes, sont quelquefois inintelligents devant ces deux cultures qui peuvent tout à fait s’associer.

Depuis la salle (Jean-François Noblet) : Je précise que je m’exprime à titre personnel. Jean-Pierre, tu as tout à fait raison, c’est exactement ce que je voulais dire. Je suis venu à ce débat avec l’espoir secret d’apprendre beaucoup sur le métier de berger, sur une civilisation qui me passionne et pour laquelle j’ai autant d’amour et d’intérêt que pour les loups que j’ai vus de nombreuse fois dans ma vie à l’état naturel. Je trouve que l’on a peut-être manqué le débat ce soir, car nous avons eu la démonstration flagrante que le monde de la montagne est un monde minoritaire, assiégé, en proie à de grands doutes et de grandes difficultés, que la seule manière pour lui de s’exprimer est de réagir à cette civilisation urbaine que nous déplorons, qui nous pollue. Je pensais en venant ici que peut-être on allait nous demander ce que l’on savait sur le loup et que le dialogue allait enfin s’engager pour que l’on trouve des solutions. On peut crier au loup, s’énerver, faire des manifs, parler des gens qui sont dans les bureaux, et les citadins parleront de ceux qui sont dans la montagne de la même manière. Cela ne fera pas avancer le   » schmilblic   » . Le loup restera protégé et je peux vous dire que j’ai été frappé de voir qu’en Isère, lors du débat qui s’est tenu à la préfecture pour faire le point sur la situation, les représentants de l’Etat, la direction des services vétérinaires, la direction départementale de l’agriculture et de la forêt, le préfet, la direction régionale de L’environnement et les différents ministères concernés étaient intimement convaincus que la plupart de nos concitoyens sont pour le loup. Si vous voulez vendre un journal vous n’avez qu’à y mettre un loup en couverture. Il faut bien que nous nous rendions compte aujourd’hui que nous, écologistes, et vous, bergers, sommes minoritaires et que la civilisation urbaine ne demande pas grand chose pour nous laminer les uns et les autres, et que pour nous en sortir il faut unir nos forces en dialoguant et en trouvant les solutions techniques, et ne pas s’opposer comme cela a été trop souvent le cas ce soir. Le loup est peut-être l’occasion de montrer l’importance de l’activité pastorale au monde citadin, de lui donner une vraie crédibilité. Ce monde est à la recherche de produits naturels, et les écologistes sont peut-être les premiers à s’intéresser à la poursuite de cette production agricole de qualité ; donc ne vous trompez pas d’adversaires. Les amoureux du loup sont probablement les amoureux des bergers, des moutons et de la montagne. Ensemble, nous pouvons arriver à développer l’activité agricole en montagne, à démontrer qu’il n’y a pas que la civilisation urbaine et l’industrie, et faire en sorte que ce métier de berger se développe. L’occasion du loup est une occasion de dialogue et de confrontation. Il faut passer par dessus cette situation de crise, par-delà nos préjugés ou notre ignorance ; vous reprochez aux urbains d’être ignorants sur le berger et ce que j’ai entendu aujourd’hui de votre part sur le loup montre que nous pouvons vous apporter ce que nous savons. Le dialogue ne doit pas être à sens unique. Vous réclamez à juste titre d’être reconnus, sachez qu’il y a des gens prêts à vous aider, à participer concrètement, financièrement, qui l’on déjà fait et qui continueront à le faire.

Depuis la salle (Roberto Togni) : Je suis d’origine alpine, mais j’habite Milan. Je suis admirateur de ce musée et de ce qu’il organise. Je suis scientifique. Je pense qu’il y a eu des difficultés à dialoguer ce soir et je crois que les scientifiques doivent avoir une plus grande aptitude au dialogue. Il existe en Italie une petite histoire. C’est l’histoire de quelqu’un qui avait l’habitude de crier :   » Au loup ! Au loup !   » , même si le loup n’arrivait pas. Et lorsque le loup est vraiment arrivé, il a crié :   » Au loup ! Au loup !   » mais personne ne l’a cru. Je voudrais faire un parallèle entre cette histoire et ce qu’a dit ce berger en début de débat. J’ai été très fortement touché par son discours, c’était une sorte de cri, et ce n’était pas un cri pour un faux loup mais le cri de quelqu’un qui avait vraiment fait l’expérience de voir beaucoup d’animaux massacrés et il était tout seul pendant longtemps. Cette histoire signifie que le berger doit être beaucoup mieux compris dans la tragédie qu’il vit.

(interruption changement de cassette)

Depuis la salle (Serge Roman) : On décide pour nous. On va encore une fois nous imposer des choses qui ne sont pas bonnes pour nous. Vous ne pouvez pas vous mettre à notre place, ce n’est pas possible. Il y a tellement de choses dans ce métier ! Si vous nous imposez cet animal, nous allons déserter la montagne et la déprise va s’accentuer ; vous l’aurez mérité. Les montagnes sont belles, on y a participé, et on en tient plus compte. S’il n’y a plus de moutons, dans 15 ou 20 ans, la friche gagnera de plus en plus, il y aura des loups et vous n’aurez plus d’éleveurs. En France on ne produit plus que 30% à 40% des moutons et finalement on n’aura plus que du mouton de Nouvelle Zélande. On a des nouvelles contraintes tous les jours, cela devient intolérable. Dans la réserve naturelle du Vercors, il y a 25 000 brebis, si vous nous imposez le loup, ce sera la guerre. Vous allez donc sanctionner quelqu’un et si vous le sanctionnez ce sera 25 000 moutons qui partiront. On m’a dit qu’on me remplacera, mais ce sera par de véritables chasseurs de primes. Nous sommes des producteurs et notre fonction première est de nourrir notre semblable, on ne peut pas comprendre qu’un loup dévore nos brebis. J’invite ceux qui sont pour le loup à venir avec nous pour comprendre. Ne nous imposez pas cet animal, c’est intolérable. Nous n’avons pas la prétention d’aller dire à certains métiers :   » Faites comme cela, il n’y a qu’a, il faut que, etc.   » .

Jean Blanc : Cela me rappelle une histoire d’il y a 40 ans. Un des plus grands éleveurs de Camargue, le vieux père Escoffier, je crois, avait eu beaucoup de problèmes vétérinaires et administratifs et m’avait dit ;   » Ecoute Blanc, si je vend le troupeau je peux m’acheter un cinéma sur la Canebière   » . Et aujourd’hui il dirait :   » Si je vends le troupeau je pourrais m’acheter une discothèque en montagne   » . Ce qui veut dire qu’il pourrait se rendre et devenir urbain comme les autres, se mettre dans le système de tout le monde. La fin de la cohabitation avec le loup pourrait être le déménagement des bergers car liquider un cheptel peut se faire très vite, dans la saison. C’est de la viande ! Un, puis deux, puis dix qui plient le troupeau, les communes touristiques seront contentes de ne plus percevoir les rentrées d’argent des locations de montagne ! Les skieurs, les surfeurs et les randonneurs n’auront plus la pelouse alpine. Car on oubli complètement que le troupeau fait la pelouse alpine, il l’a créé et l’entretien, et cela depuis des centaines d’années. La pelouse alpine est une création humaine. On dit que c’est un ennui de plus pour les éleveurs alors peut-être qu’ils auront trop d’ennuis, ce que je ne souhaite pas. Mais la coopération peut très bien se terminer par l’abandon.

Depuis la salle (Maurice Vieux) : Je ne suis pas convaincu que le loup soit venu d’Italie car il y a des attaques partout, dans le Vercors, en Belledonne, au plateau d’Emparis, en Haute-Maurienne, en Haute-Tarentaise, partout. Je ne suis pas prophète, mais avec tout ce que j’ai entendu, mais je pense que le métier de berger est compromis et que la transhumance va se terminer. après cela, les troupeaux sédentaires seront attaqués et les gens, fatigués, vendront leurs animaux. Il s’attaqueront aux veaux, aux génisses, aux vaches et aux chevaux dans les parcs.

Depuis la salle : Vous avez peut-être vu des loups capables d’éloigner un bison d’une tonne avec une peau d’un centimètre d’épaisseur, pour le manger. Alors un homme blessé, ou non, que fera-t-il ?

Depuis la salle : En 1829, dans le midi, les loups sont entrés dans les étables et dans les habitations.

Depuis la salle : Je suis jeune agriculteur, éleveur de bovin, sur le plateau du Vercors. Aujourd’hui, on nous dit partout que pour survivre avec nos exploitations de montagne il faut faire de l’agro-tourisme. Si on protège le loup trop longtemps, se posera la question de savoir s’il faudra parquer les loups ou les touristes. Il y a des décennies, un siècle, des hommes se sont fait attaquer par les loups sur le plateau. Ce n’est pas pour rien que l’on a voulu détruire les loups et que l’on nous surnomme les brûleurs de loups à cause des parcelles brûlées pour faire fuir les loups. Quand on élève des animaux, qu’ils soient caprins, ovins ou bovins, ce n’est pas pour les voir se faire dévoré en cinq minutes par des prédateurs. Nous sommes contre tous les prédateurs.

Jean-Claude Duclos : Nous comprenons le cri de détresse poussé par les bergers et les éleveurs sur la question du loup. Mais par rapport à la protection d’un animal quel qu’il soit, il faut quand même raison garder. Si effectivement les massacres sont tels et progressent, des mesures seront prises pour les éviter. C’est d’ailleurs ce qu’Armand Fayard à dit.

(intervention salle hors micro)

Depuis la salle (Jean-François Noblet) : Je ne suis pas intégriste du loup. Si des problèmes sérieux se posent et qu’il faut tuer les loups, je ne suis pas, sur le fond, intégriste. En outre, si nous faisons un pas en direction du monde agricole, il faut qu’il fasse un pas en notre direction et dans ces conditions on trouvera des solutions techniques. A la réunion en préfecture, le préfet a fait venir les gens qui s’occupent du problème du loup dans tous les départements français, Hautes-Alpes, Alpes-de-Haute-Provence et Alpes-Maritimes. Il a été demandé très clairement si des bergers avaient abandonné les alpages depuis que les loups sont sur leur terrain. Il a été répondu catégoriquement qu’aucun ne l’avait fait. Je trouverais que se serait un échec de la protection de l’environnement si des bergers désertaient la montagne, mais ne faisons pas de procès d’intention.

Jean-Claude Duclos : Le problème est trop récent pour qu’on puisse en constater les conséquences.

Depuis la salle (Jean-François Noblet) : Depuis que le programme LIFE a été mis en place il y a deux ans dans les Alpes Maritimes, les dégâts ont stagné dans un premier temps puis diminué, pourtant le nombre de loups a augmenté. Quand on prend des mesures de protection, lorsqu’on travaille ensemble et que l’on prend les moyens, grâce aux fonds européens, de soutenir les bergers les résultats sont positifs. Ce n’est donc pas un problème insoluble.

Jean-Pierre Jouffrey : Ce n’est pas ce que disent mes confrères bergers dans le Mercantour, les Alpes-Maritimes ou les Alpes-de-Haute-Provence, parce que des montagnes ont été abandonnées. Ils sont en survie. Si je pars, je vais où ? Si j’ai travaillé pendant 40 ans sur le métier ce n’est pas pour partir dans la nature et vendre mon troupeau pour le faire tuer. Et je vais où ? Vivre aux crochets de la société ? Chômeur ? S’ils veulent faire partir les bergers il faut qu’ils le disent autrement :   » Messieurs les bergers ne venez plus en montagne, on va lâcher des loups   » . Il fallait prendre des mesures avant de lâcher les loups. Lâchés ou pas, il y a des gens qui sont payés pour étudier cela. Je n’ai jamais vu personne sur le terrain, pas un responsable sur le terrain. Madame Voynet, elle, ne regarde pas la télévision pour voir ce qui se passe. Elle s’occupe des sans papiers, je suis ni pour ni contre cela ne me regarde pas, mais elle ne s’est pas occupé des bergers. Quand on est gouverné par des gens comme ça, soutenus par des gens comme ça, où voulez-vous que cela mène à part à la révolution ?

Depuis la salle (Jean-François Noblet) : Monsieur Jouffrey, qui vous a aidé à descendre votre troupeau pendant la neige ? Monsieur Jean-Pierre Jalabert, c’est un ami personnel, il est monté à ma demande. Il a fait plusieurs affûts, il a fait des empreintes, il a pris des indices plusieurs fois. Comme quoi vous avez des alliés.

Jean-Pierre Jouffrey : Cet été mes agneaux resteront en bergerie,   » en aliment   » , et je les vendrais comme cela alors que d’habitude je les vendais à la descente de la montagne   » naturels   » , nourris l’herbe et au lait. Cette année j’ai 600 agneaux en bergerie que je n’arrive pas à les engraisser tellement ils sont stressés, et là je n’ai pas d’aide.

Depuis la salle : Le loup peut attaquer un bison, pourquoi n’attaquerait-il pas l’homme ?

Armand Fayard : Si j’ai bien compris la réflexion de ce Monsieur de tout à l’heure qui essayait de comparer les loups du Canada aux loups européens, qui n’ont pas le même mode de comportement, et qui a fini son exposé en disant :   » Si les loups attaquent les bisons, qu’en adviendra-t-il de l’être humain en France ?   » Ce qui m’a fait supposer qu’il n’y avait plus d’Américains car ils avaient tous été mangés par les loups. Ce n’est pas du tout le même mode de comportement et d’attaque. Ils attaquent en milieu ouvert alors qu’en France c’est en milieu semi-boisé ou semi-fermé. Ce n’est pas comparable. Il est peut-être possible que des loups puissent trouver des approches pour s’attaquer à des bovins, mais je ne peux pas savoir. Les animaux qui reviennent le plus souvent dans la nourriture du loup européen sont les ongulés sauvages puis tous ce qui est animal domestique, une bonne part de petits mammifères au niveau des rongeurs, une petite part d’insectes et des fruits qui viennent compléter. Les pourcentages de proies tels que les bovins sont quasi-inexistants, sauf erreur de ma part. Les chevaux, vaches et autres sont très secondaires dans les régimes alimentaires.

Les débats touchaient à leur fin quand la cassette terminée n’a pas été renouvelée. Rien cependant de très notable ne manque dans cette transcription si ce n’est, en conclusion, le souhait de devoir renouveler fréquemment des débats de ce genre tant les déficits d’information semblent flagrants sur le retour du loup.

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