L’Alpe 07 : éditorial

Lewis Carroll, mathématicien et poète, et plus tard l’écrivain Jorge Luis Borges ont évoqué, chacun à sa manière, une carte idéale à l’échelle 1/1, reproduction parfaite du monde jusque dans ses moindres détails. La littérature rejoint ici la science géographique, pour laquelle la carte serait, à une autre échelle cette fois, l’exacte réplique du réel. Rêve jamais atteint. Ou atteint au prix de tant de conventions et de codes de représentation que le réel n’a plus de consistance. Plus tard, la naissance des photographies aériennes, puis satellitaires, a livré une réalité sans doute moins inexacte, mais si nouvelle et si étrange qu’elle est vite apparue «  déréalisée  », objet d’art davantage qu’outil de navigation.

Du moins chacun la voit-il ainsi. Sauf les militaires, puisque la carte, ça sert toujours à faire la guerre, pour paraphraser la célèbre formule du géographe Yves Lacoste. De tous temps et en tous lieux, les premiers à pratiquer des levées de terrain pour en livrer une transcription graphique ont été préoccupés de repérer les lignes de passage, les voies de fuite, les obstacles de nature à freiner l’ennemi ou encore les points où installer une défense. Dans les Alpes plus qu’ailleurs (on ne s’en étonnera pas), les militaires firent des reconnaissances précoces. C’est que nous sommes dans une vieille zone frontalière et que la complexité de la morphologie alpine requiert une attention particulière, si ce n’est pointilleuse.

Pour autant, la carte est aujourd’hui dans toutes les pratiques. Devenue «  système d’information  », elle est touristique, outil d’aménagement du territoire, de réflexion comme de décision. Dans ces usages innombrables, elle n’en a pas moins conservé l’une de ses fonctions secondaires, mais qui fait le succès des atlas ou enrichit la préparation des voyages : celle d’un formidable support de l’imaginaire.

André Pitte

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