L’Alpe 12 : éditorial

Côté ubac. Terribles glacières chères à Rousseau, géante rêvée par Baudelaire, crêtes, collines, crevasses, les termes abondent qui conjuguent la montagne au féminin. L’homme s’abîme avec fascination dans celle qu’il devine comme une amante ou une épouse ambivalente, tautologique comme la mer ou la roche originelle. Magique et dangereuse, maternelle et heureuse, toute l’ambiguïté est là ! Une goule qui sait gronder et mordre. Incarnation et mort rythment les pulsations de cette rivale terrible. En témoigne le mythe de la fiancée esseulée qui recouvre, au seuil de sa mort, le corps de son amant disparu dans les entrailles du glacier.

Côté adret. La femme est l’avenir de l’homme. Peut-être est-elle aussi son passé, la mémoire de son enfance et de ses vallées perdues ? Colporteurs, instituteurs, maçons, saisonniers, chaque année, durant de longs mois, les hommes sont au loin, très loin. Ils voyageaient l’Europe en vendant leurs savoir-faire qui n’étaient pas minces. Leurs compagnes ? Elles sont là, bien présentes, avec des responsabilités et des libertés souvent plus grandes que la plupart des femmes d’en-bas et à plus forte raison que celles de la Méditerranée. Sur la totalité de l’arc alpin, le tableau ne saurait certes être unique. D’où la nécessité de dépoussiérer les images anciennes.

Côté sommet. Qu’il faut tenter de vaincre. Arétius, un auteur de la fin du XVIe siècle, nous rapporte qu’il découvrit gravés sur une cime, non seulement des noms, mais des portraits, des vers et même des proverbes, dont il cite l’exemple suivant, écrit en grec : l’amour des montagnes est le meilleur. Chacun à sa manière, au plus profond du coeur, gravit une montagne abrupte et singulière. Femme entre toutes les femmes, elle demeure tout au long des saisons, la cime indépassable qui chaque jour s’éclaire et s’estompe la nuit. L’atteindre par surprise, à la pointe de l’aube un matin de grand beau, et rassembler enfin les deux parts de nos rêves.

André Pitte

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