L’Alpe 36 : éditorial

Chemin faisant, de numéro en numéro, que de voyageurs avons-nous croisés au gré des thèmes traités dans L’Alpe ! Et que de voyages avons-nous faits dans les écrits et les images qu’ils ont parfois laissés ! De quoi susciter le désir de s’attacher aux pas de ces passants d’un temps où les monts recelaient dragons et mystères. De s’interroger sur la curiosité qui a poussé certains d’entre eux, dès la Renaissance, à s’écarter des grandes vallées et des principales voies de passage. De découvrir leur quotidien, la façon dont ils trouvaient leur chemin, dénichaient un gîte, s’équipaient et se déplaçaient. De questionner enfin le regard qu’ils portaient sur des Alpes et des Alpins aussi exotiques qu’étonnants.

Dans un univers désormais cartographié par satellite, balisé et largement sécurisé, livré au tourisme de masse, on ne s’étonnera pas de cette fascination pour de telles « transhumances » au parfum d’exploration et pour tous ces savants, gentilshommes ou autres passionnés qui arpentaient les montagnes afin de repousser les limites du monde. Car la transformation du Grand Tour en tourisme au cours du XIXe siècle semble avoir définitivement tué l’esprit du voyage (de découverte) tel qu’il doit être, aventureux et curieux de tout. Les choses ne sont pourtant pas si simples. Il ne s’agit pas tant d’époque que de mentalité. Combien de voyageurs et de touristes d’autrefois en effet, bien mieux informés qu’on ne pourrait le croire, ne s’écartaient guère des étapes et itinéraires recommandés par les guides, regardant hommes et paysages à travers le prisme des clichés véhiculés par ces manuels.

À l’inverse, l’engouement actuel pour des cheminements comme la Via Alpina, itinéraire au long cours d’un bout à l’autre de l’arc alpin (voir le numéro 23 de L’Alpe), témoigne d’un désir de voyage dans la lenteur et l’étonnement. Qu’on se rassure, la déambulation émerveillée n’est pas l’apanage d’un lointain passé, même si celui-ci conserve tout son charme. Est-il même nécessaire d’entreprendre de lointains parcours pour voyager et ainsi « réactiver pendant un instant l’usage des yeux : la lecture du monde » comme le formule si bien l’écrivain italien Italo Calvino ? Le portfolio de ce numéro est là pour dire le contraire et rappeler que les Alpes restent un fabuleux réservoir de découvertes d’un ailleurs et d’un autre parfois tout proches. Une incitation, pour chacun, à entreprendre des périples hors des sentiers battus, sans autre bagage que des sens en éveil.

Dominique Vulliamy

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