L’Alpe 38 : éditorial

La chasse est une composante essentielle des sociétés alpines, comme en témoignent d’innombrables récits et l’omniprésence, dans l’iconographie alpestre, du chasseur de chamois ou de marmottes. Aujourd’hui, cette pratique toujours bien vivante est pourtant controversée, les opposants objectant qu’elle n’a plus aucune raison d’être et qu’il faut laisser la faune sauvage s’ébattre en paix. Sujet délicat, donc… et d’autant plus intéressant ! Au-delà des querelles partisanes et des idées reçues s’esquissent au fil des articles les diverses facettes d’une activité non dépourvue d’ambiguïtés. Car les choses ne sont pas si simples et le propos ne peut se contenter d’une vision manichéiste. À commencer par une évidence : la chasse se décline au pluriel. Au fil du temps, des lieux, des individus et des mentalités.

Jadis considérée comme une ressource, économique et alimentaire, la chasse possède également une forte signification symbolique par la relation qu’elle induit avec un monde sauvage opposé à l’univers domestique. En pays de montagne sans doute plus qu’en plaine. Loin des clichés, la majorité des chasseurs de l’alpe sont avant tout des amoureux de nature et de fins connaisseurs de leurs territoires. Avaler des dénivelés en terrain scabreux pour débusquer un chamois, un chevreuil ou une perdrix des neiges n’a rien à voir avec le tir aux pigeons…

« Il m’arrive de partir à la chasse avec mes chiens en oubliant mon fusil… » me confiait récemment un chasseur d’un village de Chartreuse. Peu importe le gibier pourvu qu’on ait l’ivresse, en somme… Celle de l’affût dans une forêt pentue ou de l’approche sur un pierrier instable. Celle d’une journée intense, dans la solitude de la haute montagne ou la connivence du groupe. Sans oublier le partage d’un repas et d’épiques récits au retour, dans le cercle élargi de festivités villageoises.

Il n’en reste pas moins qu’en appuyant sur la gâchette, on apporte la souffrance, on donne la mort. Comment l’oublier, même si le chasseur se pose désormais en acteur incontournable de la gestion de la faune, voire de l’environnement, sous le contrôle de sévères règlements. Bien d’autres pourtant (et j’en suis…) trouvent un égal bonheur à courir la montagne sur les traces des animaux dans le seul but de les observer ou de leur tirer le portrait. On peut aussi se contenter de chasser les champignons…

Alors, derrière cet amour de la nature et d’un mode de vie ancestral invoqués par les chasseurs, doit-on déceler chez eux un atavisme primordial de prédateur et la jouissance inavouée de faire couler le sang ? Sans tomber dans un sentimentalisme excessif, on serait effectivement en droit de penser, comme Théodore Monod, que la chasse est une pratique anachronique dans nos pays civilisés. Si la nature est cruelle par essence, l’homme occidental n’a plus de raison objective de prendre part à cette cruauté. Mais est-il vraiment plus condamnable de tuer un canard colvert que de gaver une oie, d’abattre un chevreuil en forêt que d’élever des biches en enclos pour le rôti de Noël ?…

Dominique Vulliamy

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