Marcel S. Jacquat

L’horreur de la montagne…

Habitué aux larges horizons du Jura tabulaire, j’ai toujours eu peur de la montagne… Peur  ? Non, pas exactement, mais une espèce de crainte diffuse, de manque d’intérêt ou de capacité d’émerveillement pour de gigantesques masses de roche, aux formes toutes plus surprenantes les unes que les autres. Peur de ce qu’elle représente, cette masse indomptable, énorme… Peur qu’elle me tombe sur la tête, influence de Goscinny et Uderzo sans doute… Peur de ces fous qui, partant trop vite, essoufflaient tout le monde et me disaient alors que nous étions en excursion  : «  Maintenant qu’on est là, on va aller voir au sommet.  » À quoi ça pouvait bien servir  ? Pour voir, pour aller plus haut, pour dire qu’on est allé au sommet, pour… Non, vraiment, je ne suis pas de l’alpe. J’habite pourtant à 1 000 mètres d’altitude, dans les monts du Jura, d’où l’on peut, si l’on veut, voir tous les jours (ou presque) l’immense dessin des Alpes à l’horizon. Curieusement, j’ai toujours aimé parcourir les paysages par la voie aérienne  : ils prennent une dimension qui ne peut être saisie quand on a les deux pieds sur le plancher des vaches. Mon plus beau souvenir de montagne est le survol de la plaine du Gange, puis de l’immense Himalaya en route vers l’Australie. Quel spectacle incroyable, quelles dimensions inhumaines, quelles extraordinaires découpages dans la roche, le tout décoré de glaciers et de neiges éternelles… J’ai lu avec passion les romans de Charles-Ferdinand Ramuz (1878-1947) qui, comme tant d’autres, met souvent la montagne en exergue dans ses romans. J’ai commencé à l’apprécier, la montagne, quand je me suis mis à la gravir à vélo  : c’est probablement le plus beau moment de l’excursion cycliste. Bien sûr, il faut faire un effort, bien sûr il faut transpirer, mais cela se fait à une cadence d’une lenteur suffisante pour apprécier les paysages, repérer une plante, un papillon, un oiseau, voire un mammifère qui se trompe d’horaire. Du coup, je me suis dit qu’à plus de 60 ans, il fallait que j’aille une fois dans ma vie à Zermatt, voir le Cervin, ce que j’ai fait récemment. Zermatt, bof…, les anciennes maisons mises à part. Mais les montagnes qui dominent le village ont vraiment une majesté qui mérite le respect… et peut-être l’effort physique pour les adeptes des clubs alpins  ! Quant à moi, je me contente de ma bibliothèque… et de L’Alpe, qui me fait aussi grimper des étages et parcourir la montagne par le regard et la description des autres.

Marcel S. Jacquat, biologiste, ancien conservateur du musée d’Histoire naturelle de La Chaux-de-Fonds (Suisse).

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