L’Alpe 64 : éditorial

Une part infime d’hommes et de femmes laissent leur nom dans l’histoire d’un territoire. Ne demeurent généralement que quelques illustres, dont les patronymes deviennent des adresses ou désignent des établissements publics. Et dont l’évocation occupe une large place, que ce soit par la statuaire urbaine que leur a consacré le XIXe siècle ou par les maisons natales ouvertes à leur gloire au cours du XXe. Exit les trop nombreux noms figurant sur les monuments aux morts de la grande guerre. Exit bien évidemment les innombrables générations d’individus qui ont marqué ce territoire, qui en ont fabriqué les paysages et forgé les mentalités. Le patrimoine, a-t-on souvent dit, ce sont pourtant ces gens. Dans la légende locale, qui fait office de mythe des origines ou de récit national, nos héros ne sont donc plus qu’une poignée.

Dans ce numéro de L’Alpe consacré à l’Isère, cette terre alpine qui s’étend jusqu’à la plaine du Rhône et aux portes de Lyon, on se gardera pourtant de rechercher quelque palmarès des célébrités. D’ailleurs la plus connue, Stendhal, n’y figure même pas. On a plutôt tenté de cerner les ingénieux, pour ne pas dire les innovateurs, ceux du moins qui ont participé à la saga conquérante de cette terre aujourd’hui reconnue pour sa fertilité dans le changement et les idées nouvelles. Ce n’est pourtant pas plus un classement dans l’ordre de l’inventivité  ; d’ailleurs Vaucanson n’a pas non plus été retenu. Tout au contraire, on a tenté de démystifier l’innovation pour en livrer une conception plus large, incluant les faits sociaux, la culture, les valeurs autant que les techniques.

Mais ces illustres évoquent aussi des lieux, tout autant qu’eux chargés d’histoire. Et c’est en cela peut-être qu’ils sont originaux, nous permettant de rappeler que la modernité peut se construire (et de fait se construit mieux !) sur une bonne connaissance du passé et le respect de ses vestiges. À trop vouloir cultiver une image moderniste, toute entière mobilisée dans la valorisation de l’innovation technique, voire à trop vouloir la vivre avec un temps d’avance, ce territoire a quelque peu oublié de prendre soin et de valoriser son patrimoine. De la même façon, son économie étant plus solide que celle de la plupart des autres départements alpins, il a pu dédaigner trop longtemps les investissements dans le tourisme, or blanc mis à part. Les politiques publiques, si importantes soient-elles, ont bien du mal à corriger cette tendance qui caractérise cette population et ce territoire. Au point que ce dernier reste méconnu, mal identifié, puisque l’on cite plus aisément les massifs qui le composent (Chartreuse, Vercors, Oisans, etc.), que l’Isère, voire que l’on préfère, pour le désigner, se référer encore, deux siècles après sa disparition, au nom de l’ancienne province  : le Dauphiné !

Jean Guibal
Directeur éditorial

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