L’Alpe 66 : éditorial

En transhumance vers les Grisons, j’ai un jour planté ma tente dans le Tessin, au pied de la colline de Monte Verità. Découvrant de façon inattendue (ou presque… on ne s’arrête jamais en chemin tout à fait par hasard !) l’histoire de la communauté libertaire créée là par une poignée de marginaux au début du siècle dernier. Quel beau sujet pour L’Alpe ai-je pensé ! Mais la revue en était encore à ses débuts et tant d’autres idées d’articles fourmillaient déjà dans notre sac à malice… Depuis, nous en avons croisé, des originaux, des allumés et des visionnaires (cherche un peu, lecteur, et tu en trouveras !). Au point de penser que la montagne était un terrain privilégié pour divaguer, voire extravaguer, bref pour sortir du droit chemin. Les sentiers ne sont-ils d’ailleurs pas tous tortueux, dans les Alpes ?

Elles ont abrité dragons et démons, sorcières et révolutionnaires. Accueillant la subversion. Inspirant utopies et rêves fous. Les plis et replis de ce paysage tourmenté donnent des ailes à l’imaginaire. Un refuge idéal pour l’invention et la fantaisie. Quel plus beau décor que le lac Majeur dans son écrin de sommets pour s’inventer une autre vie ? Impensable aussi que Louis II ait pu créer sa folie néo-médiévale de Neuschwanstein sur une collinette… Et la performance itinérante d’Abraham Poincheval aurait eu bien piètre allure au cœur de la Beauce ! La pente sied à Sisyphe… Comme à certains artistes bruts, dont les œuvres se déploient dans un perpétuel et labyrinthique mouvement de création. Quant aux démons, ils ont encore le champ libre aux quatre coins de l’alpe pour se livrer à toutes les extravagances lors de carnavals débridés. Et la galerie de portraits aurait pu se poursuivre encore et encore…

Beau sujet en effet que ces excentriques pour une revue qui se plaît à vous proposer des regards décalés sur l’univers alpin. Une idée que je portais depuis cette balade, là-haut sur la colline. C’était il y a près de quinze ans. C’était hier. Et voici qu’aujourd’hui, je signe mon dernier éditorial pour boucler mon avant-dernier numéro. L’heure de prendre le large (eh oui, la retraite !) va bientôt sonner… Mais après ce beau voyage, aussi riche et tortueux que celui d’Ulysse, en compagnie d’une si fine équipe, d’auteurs passionnants et de lecteurs passionnés, le reste de mon âge ne saurait être «  plein d’usage et raison  »  ! Le périple va se poursuivre, avec d’autres belles découvertes qu’il me plaira toujours de partager avec vous au fil des prochains numéros. Que vivent L’Alpe et ses excentriques !

Dominique Vulliamy
Rédactrice en chef adjointe

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