L’Alpe 83 : Je (ne) me souviens (plus)

Donner à comprendre un peu de la fabrique de L’Alpe (notre petite usine à nous). Pas facile quand on sait que le rédac’ chef de cette revue a la mémoire courte ! Pire, il est atteint de prosopagnosie… Alors, ne lui demandez pas de vous raconter, au débotté, les coulisses de la rédaction. Il en serait parfaitement incapable… Sa mémoire est toutefois revenue après qu’il se fut consciencieusement plongé dans les quatre-vingt-cinq numéros aujourd’hui parus. En clin d’œil à l’oulipien Georges Perec, florilège…

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Je (ne) me souviens (plus) qu’à la fin des années 1980, Haroun Tazieff avait été approché par André Pitte, fondateur de la revue, pour rejoindre, avec Frison-Roche, Samivel et quelques autres plumes prestigieuses, le comité de rédaction d’une revue culturelle et patrimoniale qui deviendrait… L’Alpe ! 10 ans plus tard…

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Je me souviens avoir subrepticement glissé le portrait de mon papa, enfant (lorrain !) de travailleurs agricoles immigrés polonais, dans l’article fondateur de ce premier numéro intitulé «  Gens de l’alpe ».

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Je me souviens que la photo de la une de ce numéro avait été réalisée au… Canada ! Nous l’avions alors sobrement légendée «  route de montagne ». Promis, on ne vous l’a pas refait.

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Je (ne) me souviens (plus) de ce premier article entièrement non-illustré. Il y en aura quelques autres. Et depuis, c’est devenu une règle : ne pas chercher à iconographier à tout prix un article avec des images qui n’apportent pas un supplément de sens.

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Je (ne) me souviens (plus) que nous avions publié un portfolio avec des images des montagnes de la Lune. Et je suis toujours ému d’y (re)découvrir cette petite photo de (sa) famille que l’astronaute Charles Duke a délicatement déposée sur les pentes des monts Descartes…

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Je me souviens que j’adore, aujourd’hui encore, la carte de l’archipel alpin qui illustrait la nouvelle que nous avions commandée à l’écrivain Jean-Pierre Andrevon.

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Je (ne) me souviens (plus) que pour la première (et la dernière !) fois de son histoire, L’Alpe avait publié une page entièrement blanche. Ou presque.

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Je me souviens de ce calendrier de l’Avent si intelligemment mitonné (et si compliqué à fabriquer), publié en deuxième et troisième pages de couverture de ce numéro sur les fêtes d’hiver.

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Je (ne) me souviens (plus) qu’Yves Bobin, photographe au Musée dauphinois, avait inauguré dans ce numéro ses farfeluteries pour L’Alpe avec un sérac (le fromage) et une tomme de Savoie saisis en très gros plan sur une pleine page de la revue. Magnifiques paysages lactés !

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Je (ne) me souviens (plus) que la une de ce numéro dédié aux femmes était d’une telle sensualité. Photo signée Marion Renard, une jeune… infographiste spécialisée (en 2001, déjà !) dans les publications Internet.

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Je (ne) me souviens (plus) qu’un portrait du rédac’ chef s’était glissé dans ce numéro sur la musique. Saurez-vous le découvrir ?

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Je (ne) me souviens (plus) que nous avions publié un panorama qui se déployait sur 1,30 mètres de long !

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Je (ne) me souviens (plus) que le «  biftek d’ours » qu’Alexandre Dumas aurait mangé dans les Alpes helvétiques nous avait été conté par Claude Schopp. L’auteur, grand spécialiste de l’écrivain métis, vient tout récemment de découvrir l’identité du modèle peint par Gustave Courbet pour L’origine du monde !

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Je me souviens que ce numéro a été bouclé le 21 mai 2002, un mois jour pour jour après un séisme électoral en France. Mon éditorial ne pouvait être qu’engagé : « Notre première raison d’exister est cette meilleure connaissance des autres et de leurs différences qui feront reculer tous les obscurantismes. »

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Je me souviens que ce numéro fut le premier dont le dossier était consacré aux pratiques sportives de la montagne. En clin d’œil à Churchill ;-) Lire l’éditorial…

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Je (ne) me souviens (plus) que les portraits de l’équipe de L’Alpe au grand complet avaient été publiés en page 99 de ce numéro.

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Je (ne) me souviens (plus) qu’à partir de ce numéro, nos abonnés se verront offrir une série d’images servies une à une avec chaque numéro envoyé.

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Je (ne) me souviens (plus) qu’après le succès de la publication, un an plus tôt, sur seize pages de la revue, d’un très ludique almanach de L’Alpe, amoureusement concocté par André Pitte, nous avions consacré un numéro entier à l’almanach 2005. À la une, un bisou sous les flocons et de très nombreux petits articles facétieux (jusqu’à des mots «  croassés » !) en pages intérieures. Comme nous l’écrivait un lecteur, Luc Saugy, une «  merveille de culture, d’érudition et d’humour ».

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Je me souviens que je me suis transporté au point du globe le plus éloigné de tout rivage maritime, à califourchon entre Chine, Kazakhstan, Mongolie et Russie pour un reportage dans l’alpe de l’Altaï…

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Je (ne) me souviens (plus) des résultats de l’enquête auprès de nos lecteurs lancée dans le numéro 26. À comparer avec vos propres réponses, treize ans après (voir en pages 42 et 43).

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Je me souviens d’un exploit pour un rédac’ chef qui ne skie pas : le numéro consacré aux traces olympiques des Jeux d’hiver est une belle réussite.

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Je me souviens que le 8 janvier, en plein bouclage d’un numéro intitulé «  Des mets et des monts », André Pitte, fondateur de la revue, ami (d’abord), décédait à l’âge de 63 ans. La rédaction est toujours effondrée. Nous publiions alors l’un de ses plus beaux textes sur les nourritures terrestres méditerranéennes en ouverture de notre dossier.

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Je (ne) me souviens (plus) que le Musée dauphinois fêtait son centième anniversaire cette année-là.

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Je (ne) me souviens (plus) que l’article de Tullio Telmon sur les langues alpines fut très difficile à illustrer. Raison pour laquelle nous n’avons jamais consacré de dossier entier à ce sujet pourtant passionnant.

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Je (ne) me souviens (plus) que le dictionnaire encyclopédique des Alpes, imaginé à la fin du précédent millénaire par André Pitte, était paru cet automne. Sous la direction scientifique de Jean Guibal, la rédaction de L’Alpe en avait piloté la partie encyclopédique en commandant à ses auteurs quatre-vingt-douze articles dont certains furent pré-publiés dans la revue.

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Je me souviens que je commençais à prendre le large pour m’occuper du lancement de la revue La GéoGraphie.

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Je (ne) me souviens (plus) que l’historien René Favier nous avait signé un article sur les mœurs dans les villes de garnisons alpines… L’une des images publiées pour l’illustrer, extrêmement grivoise, aurait dû faire jaser. Pas la moindre réaction ! Vous dormez ou quoi ?

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Je (ne) me souviens (plus) que Daniel Léon avait rejoint la rédaction, notamment pour rédiger les Nouvelles de L’Alpe sur notre site Internet avec le projet de développer un fil d’actus au quotidien, plus réactif que nos parutions trimestrielles. L’expérience fut un échec. Daniel l’animait parfaitement mais nous avions eu raison trop tôt… En tout cas, comme (hélas) souvent sur Internet, nous n’avions pas trouvé le modèle économique pour faire perdurer cette belle aventure…

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Je me souviens que L’Alpe a eu 10 ans. Pour les chiffres (impressionnants !) relire l’éditorial : nombre de pages, kilos de papier, auteurs (près de cinq cents !), quantités d’articles publiés en une décennie, tout y est. Pour nos 20 ans, multipliez les chiffres par deux !

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Je (ne) me souviens (plus) qu’avec «  À quoi servent (encore) les chasseurs alpins ? », nous inaugurions, avec le journaliste Jean-Dominique Merchet, alors spécialiste de la défense au quotidien Libération, une série d’enquêtes et de sujets propices aux grands débats. Suivront : le train et les mobilités douces, les travailleurs agricoles émigrés, le développement du tourisme, l’architecture, la science, l’aménagement de la montagne, le réchauffement climatique et bien d’autres à venir…

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Je (ne) me souviens (plus) que le secret (très professionnel) du chemin de fer d’un journal vous avait été dévoilé par un lecteur dans le Forum de ce numéro (page 95) dont le dossier était précisément consacré aux petits trains de montagne.

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Je me souviens que ce numéro sur les Alpins des Amériques marquait une autre migration, plus modeste, celle de la rédaction de la revue, qui quittait son nid historique au Musée dauphinois pour rejoindre le nouveau vaisseau amiral que son éditeur, Jacques Glénat, venait d’installer dans le couvent Sainte-Cécile qu’il avait fait rénover en plein cœur de Grenoble.

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Je (ne) me souviens (plus) de la première contribution d’une toute jeune pigiste niçoise (également excellente photographe) qui ira loin. J’avais alors (de manière prémonitoire ?) titré son article «  Terre des hommes ». Huit ans après, Caroline Audibert publie un ouvrage (sur le loup) dans la fameuse collection Terre humaine, créée et dirigée par Jean Malaurie chez Plon. Elle rejoint donc ces prestigieux auteurs que sont René Dumont, Walker Evans, Pierre Jakez Hélias, Jacques Lacarrière ou encore Claude Lévi-Strauss.

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Je (ne) me souviens (plus) que nous avions publié des belles feuilles issues d’un livre de Corinne Tourrasse, notre… graphiste ! Un subtil jeu de regards mené avec brio. Et avec Pierre-Louis Roy. Zeugma.

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Je (ne) me souviens (plus) du joli succès de notre «  Petit abécédaire (pas encore ”amoureux”) de l’hiver » signé par l’ethnologue Martin de la Soudière. Abécédaire qui n’aurait toutefois pas été complet si le rédac’ chef, amoureux fou des frimas, ne l’avait enrichi avec espièglerie. Et avec quelques lettres manquantes, notamment les plus difficiles telles que le X comme… xérochiménique (!) ou le Z comme закуски.

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Je (ne) me souviens (plus) de ce piano à queue Rameau transporté en hélicoptère par Pascal Brun (qui fut le pilote de James Bond lui-même !) dans la neige à 3 532 mètres d’altitude au col du Midi. C’était en deuxième et troisième pages de couverture de L’Alpe. Et nulle part ailleurs.

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Je (ne) me souviens (plus) que nous nous étions fait engueuler par un auteur qui n’avait pas apprécié la légende d’une image choisie pour illustrer son article. Saurez-vous la retrouver ?

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Je (ne) me souviens (plus) qu’à quelques mois de l’élection présidentielle en France, une citation de l’écrivain suisse Max Frisch (« Pire que le bruit des bottes, le silence des pantoufles. ») ouvrait notre numéro sur les résistances dans les Alpes. Pour ne pas revivre avril 2002…

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Je me souviens qu’à la demande de Jean Guibal, directeur du Musée dauphinois, j’avais piloté l’installation, dans le cloître dudit musée, de quelques dizaines de très grands portraits d’ouvriers signés Bernard Ciancia. Depuis, m’sieur le directeur (artistique) de L’Alpe, Hervé Frumy, me donne du «  m’sieur le commissaire » (d’exposition). Article et photos dans ce numéro.

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Je (ne) me souviens (plus) que les architectes Mario Botta et Peter Zumthor, l’actrice Laetitia Casta, le «  pêcheur d’images » Robert Doisneau, la photographe Dominique Issermann et la designer Charlotte Perriand (excusez du peu !) étaient au sommaire de ce numéro.

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Je (ne) me souviens (plus) que pour ce numéro, nous avions largement fait appel à la collection de cartes anciennes et de représentations géographiques du collectionneur américain David Rumsey qui met librement à la disposition des chercheurs son fonds numérisé en haute définition et surtout extrêmement bien documenté. Un modèle dont devraient s’inspirer les musées…

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Je me souviens que L’Alpe a eu 15 ans. L’occasion d’une petite fête dans les locaux patrimoniaux de notre éditeur. La revue occupe alors 6 584 pages, soit 57 cm de rayonnage dans une bibliothèque.

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Je (ne) me souviens (plus) que l’actrice australienne Cate Blanchett était au sommaire de ce numéro !

65

Je (ne) me souviens (plus) que la petite Léa qui nous dessinait la deuxième page de couverture de notre numéro 20 avait bien grandi. Dans un grand éclat de rire, elle se faisait croquer le portrait pour le portfolio de ce numéro consacré aux fleurs.

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Je me souviens du premier de nos grands entretiens, précédés d’un portrait, avec des personnalités majeures dont l’univers est en lien avec les Alpes. L’artiste italien Giuseppe Penone nous avait reçus, chez lui, dans son atelier à Turin.

#@ !

Je me souviens que cent auteurs de L’Alpe avaient signé cent articles pour un sacré numéro de la revue exclusivement dédié à… la rédactrice en chef adjointe qui venait de prendre sa retraite ! Un numéro (mais #@!, est-ce bien là un numéro ?) de 210 pages (!) que vous n’avez jamais vu en kiosques puisqu’il n’a été imprimé qu’à une petite centaine d’exemplaires.

68

Je me souviens que toute fraiche émoulue dans le monde du journalisme, Sophie Boizard était arrivée à L’Alpe pour réaliser son premier numéro dont le dossier était consacré au… sexe de l’alpe ! Numéro (presque) érotique puisqu’il ne s’agissait que du 68. Pas du 69 ! Sophie s’est sorti de cette épreuve initiatique avec beaucoup de maestria.

69

Je (ne) me souviens (plus) que Chantal Spillemaecker, conservatrice en chef du patrimoine et grande voyageuse, s’était rendue en Alaska autour du mont McKinley pour nous dévoiler les dessous de sa toponymie. Quelques semaines plus tard, le président Barack Obama annonçait que le point culminant de l’Amérique du Nord retrouverait désormais sa dénomination d’origine : Denali.

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Je (ne) me souviens (plus) des Maldives dans L’Alpe ! Pour évoquer la COP 21 qui se déroulait à Paris quelques jours après notre parution, nous avons publié en ouverture de nos pages d’actus une double page photo de cet archipel qui a le point culminant le plus bas de toute la planète : 3 mètres. Mais pour combien de temps encore va-t-il culminer ?

73

Je me souviens que nous sommes revenus pour la première fois (atavisme du rédac’ chef oblige) sur un thème déjà traité : la musique.

74

Je (ne) me souviens (plus) qu’avec ce numéro d’automne, L’Alpe fêtait ses 18 ans. Et donc sa majorité. Raison de plus pour consacrer le dossier dudit numéro aux… mineurs !

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Je (ne) me souviens (plus) que la saison froide est décidément propice à… l’alphabétisation ! Après le petit abécédaire de l’hiver paru dans notre numéro 51, voici celui, amoureux, de la glisse. Il était, cette fois, rédigé sous la plume alerte de Gilles Chappaz et je n’aurai pas besoin de compléter les lettres difficiles manquantes telles que le K (comme… kilomètre lancé).

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Je (ne) me souviens (plus) que depuis longtemps, Leslie Cunningham, une jeune architecte grenobloise, saisissait la tour Perret depuis sa fenêtre de toit en se jouant des lumières de Belledonne. L’un des rares trésors que j’ai pu dénicher sur les réseaux sociaux. Après plus de 20 ans de connexion à Internet…

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Je me souviens d’une petite révolution au Musée dauphinois. Jean Guibal cédait l’une de ses fonctions de directeur (du musée, mais pas de L’Alpe) à Olivier Cogne qui signait donc, dans ce numéro, son premier éditorial pour la revue en tant que nouveau représentant d’une institution culturelle sans laquelle L’Alpe n’existerait pas. La rédaction étant issue du monde de la presse et de l’édition, sans les réseaux du Musée dauphinois, jamais nous n’aurions pu bâtir une telle revue !

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Je (ne) me souviens (plus) que Donald Trump n’a jamais répondu à mon invitation dans l’éditorial de ce numéro. Ce garçon manque décidément de courtoisie…

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Je (ne) me souviens (plus) que la photo de la une de ce numéro était directement issue du magazine Photo qui, en 2014, avait primé le photographe suisse Christian Miraillès lors de l’un de ses concours auprès de ses lecteurs. Être renifleur du temps, c’est parfois utile…

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Je (ne) me souviens (plus) que nous avions prévu de confier la rédaction de l’article de fond sur le versant touristique de la marche à un auteur (très) connu sur ce sujet. Qui nous a rendu un tel galimatias de poncifs bâtis sur de nombreux copiés-collés que nous avons finalement refusé cette médiocre contribution.

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Je me souviens que ce ne fut pas une sinécure que de dénicher des auteurs issus des cinq continents pour nous parler des Alpes vues d’ailleurs.

83

Je me souviens que le bouclage de ce numéro des 20 ans est décidément trop long.

84

Je me souviendrai que ce sera bientôt à Sophie de jouer.

Mais ceci est une autre histoire…

Afin de respecter un tantinet l’esprit de Georges Perec, je me suis limité à un seul «  Je (ne) me souviens (plus) » par numéro de L’Alpe. En feuilletant lesdits numéros, je me suis toutefois souvenu de plusieurs centaines d’autres anecdotes sur la vie quotidienne de la rédaction de L’Alpe. Curieux de lire la suite ? Retrouvez l’intégralité de mes «  Je (ne) me souviens (plus) » ici même dans quelques jours…

L’AUTEUR
PASCAL KOBER
Journaliste et photographe, rédacteur en chef de L’Alpe depuis sa création en 1998, il se qualifie aussi de «  renifleur du temps ». Dans une autre vie, il est l’auteur de l’Abécédaire amoureux du jazz, un livre de photographies rassemblant plus de deux cents portraits de musiciens.

 

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