L’Alpe 87 : éditorial

Bionnassay («  bout de glacier  »), les Pratz («  prés  »), le Bon-Nant (comprenez le bon «  torrent  »), le Fayet (imaginez-le couvert de «  hêtres  »)  : à travers les toponymes de Saint-Gervais et de ses environs, étudiés notamment par le dialectologue Hubert Bessat et le guide de haute montagne Julien Pelloux, c’est toute une carte de l’imaginaire de la montagne qui se déploie. Une carte réaliste et poétique à la fois, liée au relief, à la flore, à l’utilisation du sol et, plus largement, au rapport des hommes et de la nature. Quant au mont Blanc, l’historien Philippe Joutard le rappelle ici, il reste innommé, car innommable, jusqu’au milieu du xviiie siècle  ! Trois siècles plus tard, on ne parle plus que de lui. Comme s’il n’y avait plus qu’un seul sommet digne d’intérêt dans les Alpes françaises, une seule voie à parcourir, symptôme d’une époque saturée d’informations qui médiatise jusqu’à l’excès un lieu particulier, un personnage, un fait.

De ces toponymes se dégage une caractéristique essentielle de la commune  : son record de dénivellation et par là l’incroyable variété de ses paysages. Voyez plutôt  : 4 238 mètres, soit 400 de plus que sa rivale Chamonix. En bas, le Fayet, proche des terres marécageuses de la vallée de l’Arve. En haut, les glaciers et séracs, l’image même de la haute montagne aujourd’hui malmenée par le dérèglement climatique. Entre les deux, tous les étages de la montagne  : forêts, plateaux, prairies, alpages, etc., qui donnent, chacun, envie de prendre son bâton de randonnée.

Combien de noms de villages et de hameaux parmi ces toponymes imagés  ! Encore faut-il se souvenir qu’autrefois, certains hameaux d’altitude étaient plus peuplés que le bourg principal. Si peuplés même que beaucoup durent tenter leur chance ailleurs. La naissance du tourisme, avec l’ouverture des bains en 1807, son essor avec l’arrivée du chemin de fer puis du tramway du Mont-Blanc (deux sagas à rebondissements !) introduisent une profonde césure. Une rupture qui bouleversera en profondeur la physionomie économique, architecturale et paysagère de la commune. Au gré des modes touristiques, Saint-Gervais s’affichera ville thermale, camp de base pour alpinistes et randonneurs puis station de ski. Alors, Saint-Gervais-les Bains  ? Saint-Gervais Mont-Blanc  ? Comment faut-il dorénavant l’appeler  ? Aucun de ces noms ne la résume en son entier, car elle est, par sa géographie et son histoire, un condensé des Alpes.

Sophie Boizard
Corédactrice en chef

La rédaction de L’Alpe vous souhaite d’excellentes fêtes et une année 2020 fructueuse et heureuse.

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