L’Alpe 89 : éditorial

Rien n’est plus délicat que d’introduire un numéro d’un périodique tel que le nôtre, d’ouvrir un thème (toujours passionnant) et de paraître ainsi sourd aux préoccupations immédiates de nos lecteurs, plus généralement de nos contemporains. Impossible en ce printemps 2020 de ne pas évoquer dès cet éditorial le drame qui se joue en ce moment, un peu partout sur la planète, autour de l’épidémie provoquée par un coronavirus (Covid-19). Ni la crise mondiale (pas seulement sanitaire !) qu’elle a déclenchée et dont personne ne sait encore évaluer l’ampleur. Ce numéro de L’Alpe a été préparé par une équipe de rédaction dont chaque membre était confiné à son domicile. Notre revue ne serait pas fidèle à ses valeurs si elle n’affirmait pas sa solidarité avec tous ceux qui souffrent de cette situation et si elle n’exprimait pas son admiration pour les équipes de soignants qui restent « au front » en ce début de déconfinement.

Cela ne réduit en aucune manière l’intérêt qu’il faut porter à la Durance, objet du dossier de ce numéro d’été. Cette grande rivière méditerranéenne (qui a eu un temps le statut de fleuve !) est en effet un cas d’espèce permettant de nourrir de nombreux questionnements, y compris politiques et sociétaux. D’abord parce que l’eau est un patrimoine commun inestimable, que l’on sait appelé à se raréfier, même si les montagnes des Hautes-Alpes où naît la Durance ont longtemps semblé une réserve inépuisable. Puis parce que cette rivière a connu tous les emplois (agricoles, alimentaires, industriels, touristiques, etc.), dont l’équilibre est à protéger sous peine de générer des conflits entre les territoires comme entre les usagers. Ensuite parce que la mise en place de retenues d’eau, devenues indispensables sur une rivière dont le débit varie si fortement, a conduit à livrer la maîtrise de l’eau au producteur d’énergie hydroélectrique (en l’occurrence Électricité de France, EDF). Or il se trouve que l’Europe souhaite ouvrir la production d’énergie à la concurrence. Les conséquences de cette décision risquent d’être très lourdes. La réflexion engagée dans les pages qui suivent vaut à n’en pas douter pour la plupart des rivières et des fleuves qui ont leur source dans les Alpes, véritable château d’eau de l’Europe. L’or bleu de ce massif peut-il être géré uniquement dans des perspectives de rentabilité financière ?

Jean Guibal
Directeur éditorial

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