L’Alpe 09 : éditorial

Les eaux vives de la Durance ouvrent ce numéro dans les mille remous de leurs mille usages. Rivière exemplaire qui voit l’homme tout à la fois jouer sur les rives escarpées de son berceau haut-alpin et irriguer ses cultures dans l’alpe méridionale. Ce sont ces diverses facettes que nous explorons dans les pages qui suivent en gardant à l’esprit cette jolie pensée de Giono envoyée par une lectrice de L’Alpe : «  On ne peut connaître un pays par la simple science géographique… On ne peut, je crois, rien connaître par la simple science. C’est un instrument trop exact et trop dur. Le monde a mille tendresses dans lesquelles il faut se plier pour les comprendre avant de savoir ce que représente leur somme.  »

Alors, plutôt que de comprendre (une fois de plus…) les glaciers «  immaculés  » et les torrents «  impétueux  », nous nous sommes mués en renifleurs du temps pour tourner nos regards vers une alpe plus vagabonde. Que fait un artiste contemporain face à un petit lac d’altitude ? Qui sont ces fantômes qui hantent les profondeurs du Léman ? À quoi ressemble donc ce parcours millénaire d’une si petite goutte ? Et l’eau, enfin, a-t-elle un ou plusieurs goûts ? Les hommes lui ont trouvé de nombreuses saveurs : celle des romantiques qui s’extasiaient face au sublime, celles des anciens, astucieux, qui en détournaient déjà le cours ou encore celles des ingénieurs qui surent en faire jaillir la lumière.

Demain, le précieux liquide devrait être source de conflits. La guerre de l’eau aura-t-elle lieu ? Si les Alpes, formidable réservoir aquatique de l’Europe, joueront peut-être la carte de la solidarité en acceptant de «  prêter  » leurs eaux au lointain voisin catalan, qu’en sera-t-il dans le désert entre Tigre et Euphrate ? Quel vivace entrepreneur monnaiera quel type d’épuration pour les sombres eaux du Gange ? Quel nouvel Érika désinvolte nous prépare-t-on aux confins du monde ? «  L’eau va entraîner tout le paysage vers son propre destin.  » Gaston Bachelard avait tort. Si nous n’y prenons garde, c’est le destin de l’homme lui-même qui basculera. La forteresse alpine saura-t-elle montrer la voie de la raison, de la paix et de la tendresse ?

Pascal Kober

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