L’Alpe 01 : marcher et tant souffrir…

Par Guy Martin-Ravel

Dans les Alpes du XIXe siècle, les riches touristes britanniques se faisaient accompagner de porteurs chamoniards, dauphinois ou valaisans pour gravir les « monts sublimes »… Aujourd’hui, trekkeurs et alpinistes occidentaux en quête d’exotisme et de sommets vierges jettent leur dévolu sur des massifs plus lointains. Au Népal, moyennant quelques roupies, chacun peut s’offrir les services d’hommes qui ne feront jamais la une d’aucun magazine de montagne. Rééquilibrage.

Le faux espoir de Sonam. Il me fallait un porteur pour la valise contenant du matériel photo. Le sirdar, chef des Sherpas, recrute un garçon de huit ou neuf ans, souriant, un peu timide. Il ne portera que la valise. Avec son contenu, il pourrait faire vivre sa famille pendant des années. Il est en tongs, en short, le haut recouvert d’un pull percé. Jusqu’où est-il supposé aller ? Jusqu’au camp de base de l’Everest, à plusieurs jours de marche. Dans cette tenue ? Oui. Les vêtements supplémentaires ? Il n’en a pas. Deux cents mètres après le départ, un Sherpa déleste le gosse de sa valise pour la mettre sur son sac à lui : le petit n’est plus embauché. Un jeune porteur supplémentaire pour une simple valise, c’est trop cher. Il me suit pendant une demi-heure. Son moral, soumis à de bien plus rudes épreuves depuis sa naissance, ne saurait être affecté par la déception qu’il a subie.

Maïla, homme à tout faire. Recroquevillé dans une infâme couverture sur le banc de pierre glacial au fond de la cuisine, au camp de base de l’Everest (5 300 mètres), Maïla se fait oublier. C’est un « non-Sherpa », d’ethnie manger, de famille totalement démunie. Aide-cuisinier, homme à tout faire, à tout porter, à tout supporter, c’est la victime idéale, l’homme-tampon entre des Sherpas parfois arrogants et des sahibs prêts à tout pour satisfaire leurs ambitions. Maïla fait partie des ces porteurs tamang, newar, etc. qui n’ont pas grandi en altitude mais désirent y travailler. Lorsque le mal des montagnes les accable, beaucoup ne s’en plaignent pas de peur de perdre leur boulot. Certains en meurent.

Pourquoi marcher et tant souffrir ? Deux guides français de haute montagne organisent une expédition dans le but de gravir un sommet de plus de 8 000 mètres au Népal. On est entre « pros ». Pas de clients, juste deux porteurs de vallée, choisis pour leur robustesse, et deux Sherpas. Des vacances, en somme, mais rendues « sportives » par les mauvaises conditions, froid et neige, avec du vent. À peine arrivés au camp de base, vers 5 000 mètres, les deux porteurs de vallée s’en retournent. Ils ont pour tout équipement des tongs, un short et un tee-shirt. On retrouvera les deux cadavres, gelés, un certain temps après, pas très loin du camp.

Guy Martin-Ravel : « SCD (sans compétence définie). Incapable de dessiner ou de peindre, je ne me suis mis à la photographie que sur le tard. Un an plus tard, William Klein m’a assuré que j’étais «  un photographe…  », assorti d’un adjectif pour faire rougir. Mais ça ne suffisait pas. Finalement, c’était plus difficile que je le croyais. » Guy Martin-Ravel est l’auteur des textes et des photographies de cet article.

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