L’Alpe 26 : la Savoie d’André Kertész

Le grand photographe a séjourné en Tarentaise au début des années 1930. Son reportage, dont on ne connaissait jusqu’alors que quelques images, vient d’être redécouvert et mis en valeur par l’éditeur La Fontaine de Siloé.

C’est une extraordinaire aventure éditoriale. De celles que l’on aurait aimé mener soi-même et pour lesquelles on tire son chapeau bas. A priori, rien de plus éloigné, en effet, qu’André Kertész et une Savoie qui n’a guère accueilli de photographes renommés. Tout juste si le facétieux Lartigue y a nonchalamment baladé ses appareils à la naissance des sports d’hiver. Et la dernière incursion d’une tête d’affiche, Raymond Depardon en 1992, s’est soldée par une production anémique indigne du grand reporter.
André Kertész est l’un des meilleurs photographes du XXe siècle. De la trempe des Brassaï, Doisneau et autres Ronis. Né en 1894 à Budapest, en Hongrie, il arrive à Paris en 1925, s’installe à Montparnasse et devient l’ami de Colette, Man Ray et Mondrian. Surtout connu pour ses Distorsions, des portraits nus réalisés dans des miroirs déformants en 1933, il travaillera ensuite à New York, notamment pour de prestigieux magazines de mode comme Harper’s Bazaar et Vogue. Son œuvre ayant été célébrée en France par les plus grandes institutions (exposition à la Bibliothèque nationale dès 1963, au centre Pompidou en 1977, invité d’honneur des Rencontres internationales de la photographie d’Arles en 1975), Kertész, décédé en 1985, a légué l’ensemble de ses images au ministère de la Culture.
Et les Alpes dans cette belle carrière ? Un épisode. Mais un épisode majeur, comme le démontre un autre photographe, Pascal Lemaître, à l’origine de cette redécouverte. À partir d’un portrait, publié en 1984 dans le catalogue de la collection Manchester, il a dénoué le fil. Et quel fil ! Quelle enquête ! Quels rebondissements dans cette recherche qui l’a mené de la rue Réaumur à Paris jusqu’à Buenos Aires en Argentine, en passant par la Mayenne et, bien sûr, la Tarentaise…
On n’en dira pas davantage car il faut lire son récit dans l’ouvrage aujourd’hui publié et dont sont extraites ces images. Notons seulement que Kertész a séjourné à Notre-Dame-du-Pré en juillet 1931 pour réaliser une série de près de deux cents photographies destinées à illustrer un roman, Le Sol (voir pages suivantes), œuvre de Frédéric Lefèvre, alors rédacteur en chef des Nouvelles littéraires. Cette étonnante collaboration est replacée dans son contexte par les historiens Jean et Renée Nicolas dont l’introduction sur le monde littéraire des années 1930 et la vie quotidienne en Savoie avant la seconde guerre mondiale est remarquable.
Restent les images de Kertész, émouvantes et si rares. Pas courant, en effet, de voir les habitants d’un petit village alpin saisis avec tant de justesse et surtout, avec le regard d’un auteur, engagé, rigoureux, attaché au respect de ses modèles, à la qualité de la lumière, de son cadre et, probablement dans certains cas, de sa mise en scène. Au-delà de l’approche artistique, la renaissance de ces photographies d’André Kertész représente une mine d’or pour les scientifiques. Le témoin doit maintenant être passé aux ethnologues. Mais ça, c’est une autre histoire…

PASCAL KOBER

À lire

  • Jean et Renée Nicolas, Pascal Lemaître, La Savoie d’André Kertész, éditions La Fontaine de Siloé. Le roman Le Sol, de Frédéric Lefèvre, est également réédité dans un ouvrage séparé.

  • Danièle Sallenave, André Kertész, Centre national de la photographie, collection Photo Poche n°17.

  • Noël Bourcier, André Kertész, Phaidon, collection 55.

Pour nous avoir permis de bâtir ce portfolio, merci à Jacques Bourdon, directeur des éditions La Fontaine de Siloé, Pascal Lemaître, photographe à l’origine de cette redécouverte des images de Kertész, et Christophe Mauberret, directeur artistique chargé notamment de la collection André Kertész au Jeu de Paume (Patrimoine photographique).

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