Jean-Marc Aubry

Le cri de la gentiane

Mon alpe, c’est un dièdre de granit survolé par un choucas espiègle, un Samivel en noir et blanc, une meule de beaufort d’alpage, le plaisir d’ôter les chaussures, le soir au refuge, de s’engouffrer dans la tente, douillette, alors qu’une pluie glaciale s’est mise à crépiter sur le double toit, c’est le repos des boules Quiès lorsque le gros monsieur du bas-flanc d’à côté s’arrête de ronfler. Et puis le sourire mâtiné de remords lorsque mon père venait me réveiller vers 4 heures le matin pour m’annoncer : « Tu peux te rendormir, il pleut, on ne part pas ». C’est ton regard, ton sourire alors que je t’aidais à mettre ta capuche, un si moche et si bel après-midi, sous le col Agnel. Mon alpe, c’est la sortie de ce couloir qui ne demandait qu’à se purger dans une belle avalanche, le grognement lointain de l’hélico quand tout va mal ou le col, enfin, au plus dense du brouillard et de la trouille. Mon alpe, c’est mes trois bouts d’zan avec leurs sacs à dos, souriant jusqu’aux oreilles sous leurs casques bien trop grands, le morceau de granit sur la tombe du grand frère, quelque part au fin fond des Hautes-Alpes. C’est le piaulement d’un aigle, le tintement d’une clarine, le soir, le cri d’une marmotte. Et celui de la gentiane printanière !

Jean-Marc Aubry, écrivain et accompagnateur en montagne.

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