Jean Guibal (Et après ?)

Dix ans… et après ?

Tribune, lieu d’expression et de débat sur le devenir du massif et de ses populations : ainsi ses concepteurs avaient-ils rêvé L’Alpe, entre autres caractères. D’aucuns pensaient même qu’il fallait entretenir une forme de militantisme pour la défense des cultures alpines et de leurs patrimoines, voire encourager les polémiques. Quelques textes sur des débats publics ont certes été publiés (réintroduction du loup, chasse, populisme alpin…), sans provoquer de controverse. Il est vrai que le débat sur le monde alpin est singulièrement étroit, partagé entre écologistes et aménageurs pour l’essentiel, entre sportifs-touristes et paysans, autochtones et « néo ».

Les discussions se focalisent aujourd’hui autour de la Convention alpine, qui considère le massif comme le dernier domaine, en Europe, doté d’une nature encore… naturelle, devant à ce titre faire l’objet de mesures de protection particulières. Le reproche leur a été fait d’ignorer les individus et les communautés qui y vivent et l’aménagent depuis quelques millénaires. Et on a aussi souvent exprimé le regret que les cultures alpines ne fassent jamais l’objet d’attentions spécifiques, alors même que leur riche diversité est en voie de réduction aussi rapide, sinon plus, que la biodiversité.

Que l’environnement naturel alpin soit menacé est incontestable ; tout comme il est urgent de prendre des mesures pour le protéger. Mais on se plaît à imaginer une protection conforme à l’attente des communautés alpines et leur reconnaissant une place aussi importante que celle de toutes les espèces dans l’écosystème montagnard. Complémentaire est le débat sur le suréquipement touristique et la défiguration à l’œuvre… alors que la montagne continue à se vendre sur des images de nature inviolée ! Mais y a-t-il débat public sur ces questions ? Le développement dit durable est-il un objectif pour les aménageurs ? Des questions qui vont devenir lancinantes si la baisse de fréquentation de la montagne se confirme, et qui attestent du relatif échec des parcs naturels.

Il est plus difficile de caractériser l’évolution du paysage culturel. Cette période a été plus que toute autre propice au développement des musées et maisons du patrimoine. On aurait mauvaise grâce de se plaindre de cette muséomanie, tant le mouvement a été conforté par les institutions existantes et les professionnels. C’est bien sur ce réseau que s’est installée L’Alpe.

Certes, ces nouveaux lieux favorisent la conscience patrimoniale, rendent compte d’une réalité sociale et de la relation qu’entretiennent les paysages et les sociétés. Mais les musées ont été en partie utilisés comme les cache-misère des politiques patrimoniales. À défaut de maîtriser les évolutions urbaines et paysagères, faisons un musée ! Ainsi peuvent se donner bonne conscience les marchands de l’alpe.

Sur le patrimoine in situ, il y aurait beaucoup à dire. Car sur le seul patrimoine rural, le recul de la diversité est manifeste, au profit du fameux chalet et de la « tyrolisation » des Alpes. Malgré quelques réussites exemplaires (l’intérêt porté aux églises baroques et au patrimoine fortifié), le bilan est plutôt pessimiste. Et dans un tel contexte, L’Alpe peut paraître bien sage… Certes elle a surtout œuvré pour la diffusion du savoir et la déconstruction des idées reçues. Certes elle n’est jamais restée descriptive, cherchant à actualiser les questions que soulève la connaissance historique. Mais ce qui l’anime surtout, c’est ce combat récurrent contre la banalisation du milieu alpin, tant le premier des patrimoines repose sur la diversité des cultures, dont témoignent de modestes traces qu’il s’agit de conserver et de transmettre. De quoi nourrir amplement ces pages durant les dix ans à venir… peut-être sur un ton plus caustique ?

Jean Guibal, directeur de la culture et du patrimoine du conseil général de l’Isère, directeur éditorial de L’Alpe.

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