Marie-Florence Bennes

Le rire des vieilles dames 

Quoi de plus merveilleux que d’être confronté(e), lors d’une interview, au rire de l’interviewé(e), surtout quand il est spontané, porteur de significations et d’histoires étonnantes ? Voici mon « jardin secret », trois rencontres avec des octogénaires me racontant, photographies à l’appui, leur mariage ou plus exactement le contexte, les aventures, les filouteries, les jeux. Leurs histoires se passent au siècle dernier, dans les années 1930-1940, dans le nord du Vercors, appelé aujourd’hui les Quatre Montagnes. Des témoignages épiques et émouvants, extraits de rendez-vous inoubliables, dans la cuisine familiale, dont le thème était « les photos de mariage au début du siècle dernier ».

Marise Nogues s’est mariée à Villard-de-Lans le 9 octobre 1943. « Les habits que je porte n’étaient pas du tout prévus pour mon mariage. J’étais partie de chez moi en emmenant uniquement un vieux pyjama fait dans des rideaux et ces vêtements que mes parents avaient achetés pour mon mariage. En fait, je devais me marier avec quelqu’un d’autre. Sur cette charrette, nous allons avec la jument qui est ferrée parce que les routes étaient extrêmement pentues. Le prêtre avait été déplacé dans ce village par sa hiérarchie, en punition de ses idées pour la Résistance. Ma famille n’était pas prévenue. Je m’étais enfuie de chez moi, sans réaliser que ma mère et ma sœur étaient très inquiètes. J’avais donné un coup de téléphone pour prévenir le jardinier qu’on ne me cherche pas, que je n’étais pas en danger. Malgré tout, ma mère et ma sœur sont allées à la gendarmerie pour me rechercher, parce que, comme je l’ai su plus tard, ma mère était très inquiète que je disparaisse comme ça. En plus les gens arrivaient de Paris et d’ailleurs et il n’y avait plus de fiancée ! »

Élise Magnat : « Je ne vous dis pas mon âge… 88, 89 ? » Petit rire coquet. « Je ne sais plus ». Regardant une photographie de sa grand-mère portant une coiffe noire, elle éclate d’un rire malicieux et commente : « Ca, c’est un bonnet de vieillesse. C’est moi qui me moquais d’elle en appelant sa coiffe ainsi. Ma grand-mère l’appelait la fanchonnette. C’était une cravate qu’elle mettait sur la tête et ça faisait chapeau. » Et elle poursuit : « Mon grand-père m’a raconté qu’avant son mariage, quand il allait voir ma grand-mère il marchait à reculons dans la neige pour faire croire qu’il rentrait à la maison. Et papa nous racontait qu’ils partaient à deux trois garçons et qu’ils allaient “trouver des filles”. Ils allaient dans les autres villages. À mon époque, il y avait la vogue à Saint-Nizier, quinze jours après Pâques. C’était une occasion pour les garçons et les filles de se rencontrer. On dansait tous ensemble jusqu’à 11 heures et demie. Il y avait la permission de minuit avec la gendarmerie. Ne me demandez pas de faire quelques pas de Charleston, je ne tiens plus bien sur mes pieds. »

Et le mariage alors ? « J’avais à peine 21 ans quand me suis mariée. On est resté ensemble toute notre vie, près de soixante ans. À mon époque, c’était autant que possible des mariages d’amour, pas arrangés. » La fille d’Élise précise que « il y avait des jeunes femmes qui se sauvaient par la fenêtre pour aller rejoindre un garçon qu’elles aimaient et dont les parents ne voulaient pas… Il y avait quand même des jeunes qui avaient le courage de partir. Vaut mieux se casser la veille que se casser le lendemain » confirme Élise Magnat dans un éclat de rire.

Berthe Reymond, regardant une photo prise en 1931, commente : « C’est drôle, je ne me reconnais plus vingt ans en arrière ». Et elle s’amuse au souvenir de son mariage et des farces des amis de son mari. « Ah là là, ils en ont fait de toutes les couleurs ! On a déjeuné à Bouilly et après nous sommes allés dans la petite maison à côté de l’hôtel. Ils avaient mis deux lapins dans la chambre ! Ils pensaient que j’aurais peur en prenant les lapins pour des rats. En plus, on a eu droit à la “rôtie”. Dans un pot de chambre ! Ils avaient mis du chocolat, du vin blanc, des gâteaux à la cuillère par dessus, un mélange de choses. Moi je ne voulais pas boire. Mais mon mari, il a bu. Et ce n’est pas tout : ils avaient scié les pieds du lit… Comme ça craquait, mon mari m’a dit “Sortons vite de là !” et on a dormi par terre, avec les lapins qui couraient. Et puis le matin, ils étaient toute une bande pour nous réveiller et c’était la rigolade. Ah là là ! ».

Marie-Florence Bennes, journaliste indépendante, diplômée en anthropologie sociale.

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