Les montagnards au cœur !

Né dans les Alpes, à basse altitude près de Chambéry, et ayant grandi à une époque où n’existaient pas les classes de neige, et dans une famille où les sorties ski n’étaient pas au programme (pas plus d’ailleurs que d’autres activités de loisirs telles que les entend la jeunesse d’aujourd’hui), j’ai très tôt perçu que le caractère majestueux d’innombrables sommets alpins ne représentait que la fascinante émergence, certes splendide, d’une réalité montagnarde rude et besogneuse pour les femmes et les hommes qui s’adonnaient aux activités traditionnelles de la vie rurale. À ce titre, mon attirance personnelle pour l’agriculture m’a fait percevoir très tôt les difficultés dues à la pente, à l’altitude, à la saisonnalité ou à la modestie des structures d’exploitations… quand ce n’était pas l’inexistence d’équipements de base. Ainsi, chez mes grands-parents maternels, agriculteurs en Chartreuse, l’électricité n’est arrivée que dans les années 1950 et l’eau n’a coulé au robinet de la maison qu’à la fin des années 1970 !

Alors, bien sûr, comment ne pas avoir été conscient d’un exode continu vers les villes, enfin freiné par des vagues successives d’investissements massifs mais exogènes dans les hautes vallées. D’abord celle des barrages et centrales hydroélectriques dont l’implantation explique la venue des usines des grands groupes industriels de l’acier, de l’aluminium ou de divers composants chimiques ou métallurgiques. Puis, plus tard, celle de l’« or blanc », les grandes stations d’altitude devenant des villes à la montagne au pied de pistes aménagées sur les alpages et les glaciers… Les Alpes de Savoie ont eu à vivre de grands contrastes et, le rythme de leur mutation s’accélérant avec le Plan Neige, les interrogations se sont multipliées.

Certes, le développement économique est le point de passage obligé du maintien de l’activité, et donc du renouvellement de la présence humaine sur un territoire, mais fallait-il qu’avec l’heureuse création du parc national de la Vanoise, la sanctuarisation d’un périmètre d’intérêt faunistique et floristique incontestable légitime ailleurs d’insuffisantes protections d’espaces, eux aussi remarquables, livrés à des aménagements humainement peu en harmonie avec le rythme de vie et, sauf exception, avec les capacités d’intégration des autochtones eux-mêmes à la mutation profonde de leur cadre de vie ?

C’est dans cette discordance des approches que ne furent pas entendues les réserves, mises en garde et contre-propositions de l’architecte urbaniste Laurent Chappis, qu’on peut retrouver dans le bel ouvrage que lui a consacré le regretté Philippe Revil sous le titre L’anarchitecte…

L’avenir, avec l’évolution des attentes de nos contemporains ou les défis du changement climatique, arbitrera sans doute les débats esquivés à l’époque. Voici près de trente ans, il était bien tard mais d’autant plus urgent d’entreprendre le travail législatif qui a connu son aboutissement avec la loi Montagne, qui fonde aujourd’hui les dispositifs applicables à l’économie touristique et a été l’occasion d’avancées dans le soutien à l’agriculture en montagne.

Rapprocher citadins et montagnards,
concilier mobilité et fragilité
J’ai aimé, avec un groupe de parlementaires motivés, m’impliquer à fond dans ce travail au nom de tout ce dont je me sentais redevable aux montagnards comme acteurs quotidiens d’une montagne qui ne peut sans eux être à la fois productive et protégée, accueillante et vivante.

Ma gratitude est immense envers le docteur André Gilbertas, qui me rejoignit dans l’aventure de la responsabilité municipale à Chambéry et partagea à ce titre (et partage encore !) ma volonté qu’à son échelle, cette ville, capitale de la Savoie, se mette au service de la montagne par de multiples initiatives en direction des montagnards.

Dans cet esprit il n’y a nulle compétition avec quelque autre ville alpine que ce soit mais seulement détermination à approfondir, voire à créer, la connaissance mutuelle, le partage, le soutien, bref toutes les expressions de la proximité humaine entre citadins et montagnards. Ce qui peut se décliner sous mille formes constamment renouvelées comme en témoigne l’engagement de Monique Marchal, d’Hubert Jeannin et de leurs dynamiques équipes de la Maison des parcs et de la montagne, de Montanéa et de la Galerie Eurêka.

Merci à L’Alpe d’avoir notamment aidé au succès de la manifestation Alpes 2020, les nouvelles traversées ferroviaires (ndlr : voir notre numéro 29). Le massif alpin qui s’étend sur sept pays est devenu un nouveau « Massif central », celui du continent européen qui construit progressivement son unité. Les transports, voilà pour ce massif l’un des défis majeurs du XXIe siècle car il y va de la conciliation, grâce au rail, de la mobilité de la société moderne avec la fragilité de nos vallées et de nos sommets ! Voilà pourquoi, après m’être investi pour la loi Montagne dans les décennies 1970-1980, je m’implique (peut-être pour avoir eu, côté paternel, une ascendance lointaine dans le colportage en haute Tarentaise ?) depuis vingt ans maintenant et avec conviction pour ce mode ferroviaire, que René Dumont qualifiait déjà de mode de l’avenir au début des années 1990…

Puisse la revue L’Alpe mesurer, à chacun de ses grands anniversaires, le chemin parcouru dans tous les domaines majeurs de la Convention alpine, car toute avancée témoignera pour les générations futures non seulement de la permanence des valeurs de ténacité, de solidarité et de combativité si représentatives des caractères montagnards, mais aussi de la préservation d’atouts naturels indispensables aux durables équilibres fondamentaux dont notre société de plus en plus urbaine, comme notre planète de plus en plus peuplée, auront toujours besoin. À nous, Alpins, comme à tout amoureux des Alpes, d’en faire un combat quotidien !

Louis Besson, ancien président du conseil général de la Savoie, maire de Chambéry, député et ministre.

Retour en haut