Luc Rosenzweig

Les Allobroges, un hymne à la Liberté

Oublions un instant la rhétorique surannée de Joseph Dessaix, l’auteur des paroles, et la musique militaire du chef de fanfare sarde Consterno. Écoutons plutôt le message de l’hymne de cette Savoie tout entière alpine, car peu de chants patriotiques font une part aussi belle à la solidarité avec les peuples opprimés de l’époque où il fut composé : «   Je te salue ô terre hospitalière/ où le malheur trouva protection/ d’un peuple libre arborant la bannière/ je vins fêter la Constitution/ proscrite hélas ! J’ai dû quitter la France/ pour m’abriter sous un climat plus doux/ mais au foyer a relui l’espérance (…) Accordez-moi toujours asile et sûreté/ car j’aime respirer l’air pur de vos montagne/ je suis la Liberté ! La Liberté ! » Entonné pour la première fois en 1856 par les proscrits du Second Empire réfugiés dans les terres francophones du roi de Sardaigne, il est un hommage rendu par l’allégorique Liberté à cette Savoie et à ses habitants, qui la chérissent plus que tout. On imagine bien un peintre pompier d’alors, ou le délicieux Puvis de Chavannes, voisin lyonnais, brosser une fresque où l’on verrait cette Liberté sortir d’un lac alpestre dans le plus simple appareil, sous les acclamations du peuple savoyard rassemblé sur la rive. Savoyard par ma mère, fils d’un réfugié juif allemand qui trouva dans le Faucigny « asile et sûreté » après avoir fui le nazisme, ce chant m’arrache les larmes chaque fois que je l’entends. Et les occasions ne manquent pas, car sans Les Allobroges, il n’est point de fête ni de manifestation publique réussie dans les deux Savoies. Les gens d’ici en connaissent tous les couplets, ce qui n’est pas le cas pour la Marseillaise. Le Savoyard n’aime pas se vanter, mais il ne déteste pas que les autres disent tout le bien qu’ils pensent de sa petite patrie. Derrière cette Liberté se rassemblent tous ceux qui, en France et dans le monde, reconnaissent à ces montagnards peu causants le courage d’accueillir et de protéger ceux qui sont pourchassés par des pouvoirs despotiques ou barbares. La Haute-Savoie est le département français qui compte le plus grand nombre de « Justes parmi les Nations », une distinction décernée par l’institut Yad Vashem de Jérusalem à ceux qui sauvèrent des Juifs au péril de leur vie. Français, bien sûr, le Savoyard l’est sans état d’âme : de la langue de Molière, il fut toujours le gardien vigilant, et on ne le prendra jamais en défaut de patriotisme. Cela n’empêche pas l’hymne de lancer « un mot d’amour à la belle Italie », à laquelle son destin fut longtemps lié, et de penser aux peuples privés de cette liberté si précieuse. Une version postérieure à 1870 affirme, après avoir appelé au réveil de la Pologne héroïque, « Alsaciens vers vous je reviendrai »… En fait, les paroles devraient être régulièrement réactualisées pour conserver l’esprit du chant en modifiant sa lettre : d’autres peuples opprimés mériteraient aujourd’hui d’y figurer…

Luc Rosenzweig, ancien journaliste au Monde, écrivain.

Retour en haut