Monique Neubourg

Un edelweiss, un vertige et un refuge

Mon alpe, c’est un edelweiss, au bout du bout d’un chemin qui n’en était plus un, et une voix qui me dit de ne pas en prendre plus de cinq parce que ce sont des espèces protégées. Alors j’en ai choisi un seul et je l’ai mis à sécher entre les pages d’un livre, après en avoir caressé de ma main d’enfant les pétales veloutés, sensuels.  Mon alpe, ce sont les écureuils que je nourrissais. Un jour, deux écureuils roux se sont battus pour la cacahuète dans ma main tendue ; celui qui n’a pas eu la cosse convoitée m’a laissé l’empreinte de ses griffes sur le menton. Mon alpe, ce sont ces mémoriaux dans le Vercors avec des noms de jeunes gens, dont j’ai parfois connu les enfants adultes. Mon alpe, ce sont les myrtilles qui laissaient du noir partout et que le soir venu on mangeait avec de la crème cherchée à la ferme. Mon alpe, ce sont des folles descentes en luge sur des pistes de bobsleigh désaffectées. Mon alpe, ce sont des champs de génépi à perte de vue, d’un or revigorant. Mon alpe, c’est de soudain sortir du brouillard comme on sort des nuages en avion et se croire de l’autre côté du miroir. Mon alpe, c’est le schiwasser, cette boisson de la Suisse alémanique faite de jus de citron chaud au sirop de framboise, et les cynorhodons que je croque une fois qu’ils ont gelé. Je n’ai su que tard qu’ils étaient aussi de grands fournisseurs de poil à gratter. Mon alpe, c’est un vertige et un refuge. Il y a quelques jours, j’ai vu des edelweiss en pot chez un fleuriste. Je suis restée longtemps à les regarder, avec l’envie de les acheter. Et puis je suis partie, avec mon souvenir d’enfance intact.

Monique Neubourg, journaliste et critique cinématographique.

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