Philippe Bourdeau

Passant du partage

Mon alpe s’épanouit entre mélèzes et fleurs, rochers et glaciers, abreuvoirs et fontaines, vaches et moutons. Elle se regarde d’en bas comme d’en haut. Elle se nomme Tournoux, Puy-Aillaud, Clot de la Lavey… Malgré un isolement éventuel, elle se relie toujours à un lieu de vie, un village, que j’aime voir animé de fêtes où jeunes et vieux se mêlent, où sport et bien-vivre font bon ménage : Vallouise, Saint-Christophe-en-Oisans, La Grave, L’Argentière-la-Bessée… Avec une préférence pour les lieux forts mais un peu décalés, en un mot là où des individus et des communautés s’activent et créent. C’est un endroit où j’aime par-dessus tout retrouver des souvenirs, des émois, des amis. Au fond, c’est un prétexte plus qu’un but. Je n’ai pas de photographie de « mon » alpe dans mon salon : tous les clichés que je pourrais en faire ne sauraient transcrire son essence, entre réel et imaginaire. Mon alpe ne m’appartient pas, tant mieux. Je ne lui appartiens pas non plus. Je n’y suis qu’un passant dilettante parmi d’autres, avec qui je la partage au fil des saisons, des séquences de vie, des espaces. Il me semble vain de chercher à en revendiquer une forme de résidence, même secondaire. Mais j’aime passer du temps avec ceux qui la vivent et la font vivre à l’année ou à la saison. Voilà pourquoi je retourne encore chercher la compagnie de guides rieurs et profonds, de gardes de parcs nationaux passionnants, de libraires accueillants, d’élus passionnés, d’agents de développement enthousiastes. Leur vécu et leurs différences nourrissent non seulement mon métier de chercheur, mais aussi ma culture d’être humain.

Philippe Bourdeau, enseignant-chercheur à l’Institut de géographie alpine de Grenoble.

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