L’Alpe 51 : éditorial

Mon pays, ce n’est pas un pays, c’est l’hiver. En 1964, c’est avec cette jolie formule que Gilles Vigneault chante son Québec. Seul le poète est capable d’imaginer si juste métonymie pour dire une culture tout entière… Les habitants des Alpes pourraient, eux aussi, évoquer leurs montagnes avec ces mots. Car au fil des millénaires, ils ont su s’adapter pour vivre en ces contrées a priori inhospitalières. Ici, l’hiver a toujours marqué les travaux et les jours. Avec la pente, avec le froid, il a induit des modes de vie que nous évoquons dans ce numéro : agriculture, habitat, vie sociale, intégration du risque, rites et fêtes, contes et légendes, alimentation, transports, migrations et jusqu’aux multiples façons d’accueillir le visiteur depuis l’invention du tourisme au XVIIIe siècle. Hier, les sports (d’hiver, encore…) ont momentanément pris le relais d’une difficile économie rurale de subsistance. Mais qu’en sera-t-il demain si la neige venait à manquer ?

Problème d’une brûlante actualité ! Dont on ne semble pourtant pas prendre la mesure quand on privilégie la course aux équipements dans les stations de ski plutôt qu’une réflexion plus profonde sur le devenir des Alpes. Du côté des scientifiques, on nous prédit moult catastrophes sans beaucoup s’interroger sur les effets positifs que pourrait avoir un réchauffement climatique. Il doit pourtant bien en exister. Pas un seul des spécialistes que nous avons consultés n’a toutefois souhaité s’engager dans ce petit exercice de fiction que nous leur suggérions : concrètement, que se passerait-il demain dans les Alpes, en bien ou en mal, si les pires prévisions de hausse des températures s’avéraient exactes ?

La fin des sports d’hiver ? Peut-être… Et alors ? Mais aussi (et pourquoi pas ?) des dromadaires dans de fabuleux paysages de dunes provençales ? De grands vins gorgés de soleil issus de vignobles plantés dans les hautes vallées en Oisans ? Des dîners estivaux pris à 2 300 mètres d’altitude sans veste polaire, sur la terrasse à Val Thorens ? Que sais-je encore ? Le réchauffement du climat ? Ce pourrait être formidable ! Même si mon pays, ce ne serait alors plus guère l’hiver… Mais la pensée n’est jamais très féconde lorsqu’elle oublie le point d’interrogation.

Pascal Kober
Rédacteur en chef

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