L’Alpe 54 : éditorial

« Pire que le bruit des bottes, le silence des pantoufles »
(Max Frisch)

ÉDITORIAL

Les montagnes sont-elles naturellement terres de résistance ? On pourrait le penser tant y sont nombreux les exemples d’insoumission aux pouvoirs en place. Il y a deux mille ans, les tribus salasses harcelaient déjà les légions romaines sur les cols en Italie et en Suisse. Guillaume Tell, lui, s’est opposé à la domination autrichienne des Habsbourg. Sans parler des révoltes paysannes si peu documentées (les monarques, déjà, n’aimaient guère tenir la chronique du quotidien du peuple…) dans les alpages au Moyen Âge. Ou encore de la journée du 7 juin 1788 qui vit la population grenobloise jeter des tuiles sur la troupe royale, préfigurant ainsi la Révolution française dans un Dauphiné alors apanage du fils aîné du roi.

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Les auteurs de ce numéro de L’Alpe nous rappellent pourtant qu’avant d’être alpine, cette insurrection-là fut d’abord urbaine. Ou que les cantons primitifs ayant signé l’acte de naissance de la Suisse en 1291 sont aujourd’hui parmi les plus conservateurs de la Confédération helvétique. Qu’enfin, sans la proximité et le soutien logistique de citadins politiquement engagés contre le nazisme, les maquis alpins se seraient probablement développés très différemment dans le Vercors ou les Glières dès 1942.

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Soixante ans après, ces combats ont-ils été oubliés ? Le 21 avril 2002, je concluais ainsi l’éditorial de notre numéro 16 : « L’Alpe veut aider à faire en sorte que notre monde se construise non sur le fanatisme mais sur la culture, la tolérance et la curiosité. Choisir l’échelle des Alpes, certes, mais en restant à l’écoute des murmures de la planète. » Afin que l’histoire ne nous repasse pas les plats, réaffirmons, ici et maintenant, cette profession de foi. Dans un paysage journalistique qui tend de plus en plus à remplacer l’information par le divertissement, notre revue continue, à sa modeste mesure, de privilégier le sens et la connaissance. Car demain, quel que soit le résultat des urnes, une chose est sûre : rien de bon ne pourra advenir dans une société où les hommes consomment (biens ou loisirs) plus qu’ils ne produisent (agneaux de lait, lingots d’acier, pensées subversives ou nouvelles formes de démocraties). Et n’oublions pas la belle formule des anciens résistants : « Résister, c’est créer ; créer, c’est résister. » À L’Alpe, nous avons choisi notre camp. Celui de la résistance à la passivité. Attention, numéro militant…

 

Pascal Kober
Rédacteur en chef

 

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