L’Alpe 69 : éditorial

À trop vouloir cultiver le regard décalé (modeste adaptation du «  regard éloigné  » de l’anthropologue Claude Lévi-Strauss), L’Alpe semble s’être interdit un thème central pour la montagne : cette discipline sportive qui a forgé son nom sur celui du massif. Nos lecteurs auront en effet dû attendre cinq ans de parution et le numéro 19 de la revue («  Des sports et des jeux ») pour lire un premier article consacré à l’alpinisme  ; encore s’agissait-il (décalage oblige) de l’alpinisme pratiqué par les femmes. Et près de dix-sept ans (avec ce numéro 69) pour trouver dans nos pages un dossier consacré à cette pratique à tous égards exceptionnelle de la haute montagne.

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Sans doute est-ce parce que l’alpinisme produit tant de périodiques et d’ouvrages qu’il nous semble difficile de lui porter un regard nouveau. Mais il faut craindre aussi que notre obsession pour la montagne «  humaine  » nous a conduits à considérer que ces hauteurs étaient peut-être «  inhumaines  ». C’est pourtant une extraordinaire aventure que cette conquête, tant de l’altitude que des limites de la résistance du corps et de l’esprit humains. Et son histoire, fût-elle récente, a bien mérité de la qualification de patrimoine culturel.

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C’est d’ailleurs ce projet de valorisation patrimoniale et le débat qu’elle suscite qui ont retenu notre attention et ouvrent les pages qui suivent. La question est en effet posée de la candidature de l’alpinisme au titre envié de «  patrimoine culturel immatériel de l’humanité  », au moment où est célébré, autour du mont Blanc, le cent cinquantième anniversaire d’un «  âge d’or  » de la discipline  ; mais aussi alors même qu’un Observatoire des pratiques de la montagne et de l’alpinisme relève une relative désaffection du public pour une activité peu conforme à l’aspiration au «  risque-zéro  » qui caractérise la société contemporaine. Et alors que semblent aujourd’hui avoir été tentées et réussies toutes les premières, dans toutes les conditions extrêmes possibles, non seulement dans les Alpes mais sur l’ensemble des montagnes de la planète.

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Nul doute, dès lors, que cette histoire de la conquête de la verticalité, quelque peu dépoussiérée de ses accents épiques, mérite l’attention du lecteur de L’Alpe.

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Jean Guibal
Directeur éditorial

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