Michel Serres : jazz à tous les étages

Une belle personne nous a quittés ce 1er juin 2019. Michel Serres avait reçu la rédaction de L’Alpe chez lui en février 2016 pour un entretien à paraître dans notre numéro d’été dont le dossier était alors consacré à la musique. Son optimisme indéfectible va nous manquer. Relisez Michel Serres, encore et encore… Et souriez ! Mais en restant lucides et… critiques. Tout comme lui !

Dans la belle lumière qui baigne la petite veranda jouxtant l’une des bibliothèques de Michel Serres, une discussion (animée ;-) entre le philosophe et Sophie Boizard, éditrice de L’Alpe et elle-même philosophe de formation. Photo : Pascal Kober.

Une pensée fulgurante comme l’improvisation anime depuis toujours ce philosophe, membre de l’Académie française. Revigorant et lumineux, son gai savoir est contagieux.

C’est une modeste maison de la banlieue parisienne, semblable à bien d’autres. Grille bleue azur, sobre courette. On entre chez Michel Serres par la cuisine. Ou presque. Partout, des livres. Sur l’imposant écran d’un iMac, un texte à naître. Au mur, une grande photo du Cervin. Le philosophe nous reçoit dans son jardin d’hiver avec bonhommie et sans façon. Généreux de son temps. Tout à l’heure, il ira marcher. Comme il l’a fait chaque semaine durant de longues années pour se rendre à la Maison de la Radio. Depuis ici. Vincennes.

Sa voix m’accompagne depuis des lustres. En duo avec Michel Polacco sur France Info. À 18 h 25 tous les dimanches. Pile l’heure à laquelle je glisse la dernière gousse de vanille dans un gratin mascareigne ou une poignée de topinambours dans le court-bouillon d’un aïoli. Le titre de l’émission  ? Le sens de l’info. Et du sens, justement, elle en a pour un journaliste, cette chronique d’un philosophe. Depuis douze ans, Michel Serres y a tout évoqué  : l’exploit sportif comme la peine de mort, la burqa comme Charlie Hebdo, l’orthographe comme le capitaine Haddock, la publicité comme les musées. La veille de notre rencontre, il y taquinait Narcisse et l’amour de soi. Six minutes de pure connaissance offerte à tous sur une radio de service public. S’il en était besoin, elle serait ma leçon de bonheur hebdomadaire. Écoutez-là  : vous m’en direz des nouvelles  !

Quand Michel Serres, contacté la veille au soir, vous donne rendez-vous pour le surlendemain, forcément, ça remue côté méninges. S’entretenir avec lui, certes, mais de quoi donc, parmi le foisonnement des possibles  ? De la musique, thème du dossier de ce numéro et objet d’une lecture qu’il donnait récemment encore avec la mezzo-soprano Béatrice Uria-Monzon, elle aussi Agenaise  ? De l’alpe, à laquelle on le sait sensible (mais pas à ce point !) suite à son improbable rencontre avec le berger Fernand Léger et à quelques autres aventures en montagne  ? D’autres choses  ?

Alors, nous avons simplement suggéré une grille d’accords pour le laisser dérouler le fil de son improvisation. À dire vrai, à l’issue de notre rencontre, il nous a semblé que son interprétation flirtait parfois avec le free jazz. Mais les spécialistes vous expliqueront que le genre n’interdit pas (et au contraire !) une belle construction. Au fond, la puissance de la pensée tisse imperceptiblement la toile d’une intelligence à nulle autre pareille. L’entretien qui suit l’illustre à merveille. Apparemment décousu et pourtant si cohérent. En tout cas, à la rédaction, nous sommes encore sous le charme de ce tonton parfois flingueur, truculent conteur sachant bousculer nos certitudes. En somme, le renifleur du temps que tout enfant rêverait d’écouter avec gourmandise pour s’entendre dire qu’il y a encore tant de raisons d’espérer.

Pascal Kober
Rédacteur en chef

À lire • Du bonheur, aujourd’hui (avec Michel Polacco) et Solitude, dialogue sur l’engagement (avec Jean-François Serres). Éditions Le Pommier, 2015. Les deux ouvrages les plus récents de Michel Serres. Le premier est un véritable hymne à la vie.

À écouterLe sens de l’info, le dimanche à 13 h 25, 15 h 55 et 18 h 25. En lien avec l’actualité de la semaine, une délicieuse chronique.

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