L’Alpe 75 : éditorial

De la même façon que la marche nécessite entre chaque pas l’acceptation d’une chute passagère, la glisse, entre équilibre et déséquilibre, lâcher prise et contrôle, est un jeu subtil. Un jeu réglé par la vitesse, qui procure à tous ceux qui s’y adonnent une ivresse joyeuse. Écartons ici la glisse subie ou ratée, celle qui entraîne au mieux le fou rire de l’assistance, au pire le traumatisme crânien, parlons seulement de cette façon de se sentir libre et léger en traçant sur la neige des courbes éphémères.

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Pour une fois, pourquoi ne pas faire l’éloge de cette soutenable légèreté d’être  ? Cette façon d’aborder la vie en restant à sa surface, si elle manque par définition de profondeur, permet en revanche de ne pas s’embourber et d’appartenir, le temps d’une course, au peuple ailé, celui des oiseaux et des anges. Car le but ultime de la glisse, comme nous le rappelle Gilles Chappaz, n’est-ce pas de voler  ? Amoureux inattendu du glissement, Jean-Paul Sartre en a décortiqué le jeu dans L’être et le néant.

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C’est ce sentiment grisant qui, à n’en pas douter, poussa les touristes à fréquenter les premières stations de sports d’hiver à partir de la Belle Époque. La discipline reine alors n’était pas le ski, mais la luge et le bobsleigh. Bien avant pourtant, la glisse fut d’abord utile, facilitant le transport, ici du bois ou de la paille, là des pierres ou de l’outillage, ailleurs des passagers, économisant les efforts des hommes et des bêtes.

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Une histoire qui commence il y a plus de 7 000 ans dans les régions froides et plates du Grand Nord et près de l’Altaï au sud de la Sibérie, avant d’être importée et adaptée aux pentes alpines. Les Inuits comptent parmi ces grandes civilisations de la glisse. En 1966, Pierre Tairraz et Roger Frison-Roche les ont suivis quelques mois et en ont rapporté des portraits superbes de vérité. Ici, rien de superficiel et d’aérien. Mais la lourdeur de l’économie du besoin. Celle qui permet à des générations de survivre à l’hiver. Comme la plupart des activités humaines, la glisse aurait-elle donc deux visages tournés vers l’aval  ?

Sophie Boizard
Éditrice

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Avec cette magnifique invitation à la glisse, signée Robert Doisneau, à la une de ce numéro d’hiver de L’Alpe, toute la rédaction de la revue vous souhaite de très belles fêtes et une année 2017 heureuse et apaisée.

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