L’Alpe 79 : éditorial

J’ai la fébrilité de mes dix-sept ans. Devant moi, une table, trois papiers. Trois sujets pour mon premier oral de philo. «  Le paysage  », «  la chute  » et un troisième. Paysage  : aussitôt jaillit un flot d’images et de peintures. Dont le tableau si fameux de Caspar David Friedrich, Le voyageur au-dessus de la mer de nuages, avec cette figure mystérieuse, de dos, regardant des volutes de nuages envelopper des montagnes tout aussi mystérieuses. La vision se referme. Je choisis «  la chute  ».

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Les années ont passé. Toujours cette même fébrilité. C’est à mon tour de rédiger l’éditorial. Pas besoin de tirer au sort. Ce sera le paysage. Et encore cette question  : qu’est-ce qu’au fond un paysage  ? Un pan de nature retouché par la main de l’homme  ? La nature faite culture  ? Un paysage comme un petit pays, celui que l’on s’est fabriqué, approprié, celui où l’on se sent chez soi. Car même cette prairie alpine, qui semble là depuis des temps immémoriaux, est en fait travaillée par des sentes, par le piétinement des bêtes de pâture qui l’ont défrichée, repoussant la limite des broussailles et des forêts. Mais qu’en est-il de ce pierrier inaccessible  ? Lui aussi est paysage à partir du moment où j’y prête attention. Tout comme cette portion d’autoroute qui lacère la vallée. Par le regard, tout devient paysage.

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Chacun de nos articles montre la diversité de regards que l’on peut porter sur le paysage  : celui de l’architecte qui retrace l’histoire d’un lieu pour pouvoir mieux l’aménager  ; celui du cartographe qui crée des cartes-paysages, tel Jean de Beins à l’aube du XVIIe siècle. Celui, bien sûr, du peintre, comme Paul Cabaud qui s’essaie à toutes les techniques pour mieux saisir l’essence de ce qui l’entoure. Depuis la Renaissance, notre vision occidentale du paysage est marquée par l’histoire du paysage comme genre pictural. Celui du photographe qui se poste devant un paysage, choisit un cadre, tout en se demandant ce qu’il y a derrière. Car derrière moi, y-a-t-il encore un paysage si je ne le vois pas  ? Même nos articles hors dossier nous en parlent à leur façon. La commune de Barcelonnette qui, pour préserver son patrimoine naturel et culturel, souhaite entrer dans le parc du Mercantour. Grenoble qui fête en février prochain les cinquante ans des Jeux olympiques de 1968 qui ont accéléré l’aménagement du territoire et donc bouleversé ses paysages. Car, et ce sera là ma «  chute  », le paysage n’est-il pas finalement l’histoire de notre rapport au monde  ? Un récit parfois grandiose, parfois insignifiant. Un récit souvent caché dans les toponymes. Ici, les Alpes devenues humaines.

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L’équipe de L’Alpe vous souhaite de passer de très belles fêtes et surtout, une excellente nouvelle année 2018 (au cours de laquelle nous fêterons nos vingt ans) !

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Sophie Boizard
Éditrice

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