L’Alpe 81 : Gueules d’alpages

Patrick Domeyne est un photojournaliste. Un vrai. Blanchi sous le harnais de l’exigeante école de la presse quotidienne régionale. Quand il ne croque pas cyclistes du Tour de France, grimpeurs en falaises ou musiciens en tournées, il se fait portraitiste du monde animal. Un jardin secret qui a une sacrée gueule !

L’homme est discret. Très. Près de quarante ans que je vois passer sur mon écran tout ce que la planète compte de photographes au regard singulier. Et je n’avais pourtant jamais vu celui de Patrick Domeyne. «  Normal », m’a-t-il rétorqué, «  je n’aime pas la lumière » ! Paradoxal pour un homme d’images… C’est que ce dernier est à l’aise dans le clair-obscur. Pour le découvrir, observez attentivement les (trop) discrètes signatures au bas des publications du Dauphiné Libéré ou des dépliants des producteurs locaux. Un talent localement reconnu, donc. Qui fut aussi pigiste pour le quotidien sportif L’Équipe à la fin des années 1980 ou co-auteur des prestigieux guides Gallimard. Mais un talent qui n’a jamais voulu quitter (sauf pour étudier l’histoire de l’art à l’université de Provence) ces Hautes-Alpes qui l’ont vu naître d’un papa boucher-charcutier à Briançon et d’une maman fille de paysans du Valgaudemar.

La galerie de portraits que nous vous dévoilons ici doit beaucoup à cet ancrage territorial. Patrick Domeyne a aussi été très touché par le travail en noir & blanc de Robert Doisneau à Saint-Véran (voir le numéro 58 de L’Alpe). Plus tard, dans les années 1990, Yann Arthus-Bertrand avait photographié des éleveurs avec leurs bêtes à concours (voir le numéro 3 de L’Alpe : «  Transhumances »). À peine si Patrick Domeyne s’en souvient. Sa série est très différente. Nul humain dans ses portraits. Juste des regards intrigants, magnifiés par un somptueux traitement noir & blanc qui isole ces gueules sur un fond neutre mettant en valeur les délicats reliefs d’une belle encornure comme la texture d’un cuir tanné au soleil de la montagne, les jeux de lumière sur une riche toison ou encore la profondeur d’un coup d’œil fugace.

Un coup d’œil que le photographe sait capter avec brio et dans des conditions difficiles : obscurité des étables ou néons blafards des foires aux bestiaux. Le tout sans flash, car Patrick Domeyne n’aime pas cette lumière artificielle trop crue qui effraie les animaux. Et si l’on a parfois le sentiment que ses images ont été réalisées en studio, c’est qu’il manie à merveille les outils modernes de post-production, lui qui a fait ses premières armes sous l’éclairage inactinique du bon vieux labo photo.

En s’intéressant au détail («  une démarche contemplative », dit-il), Patrick Domeyne nous révèle un autre «  visage » de ces habitants de l’alpage. Une démarche entreprise il y a cinq ans et que le photographe poursuit au fil de ses rencontres. En projet, d’autres compagnons du monde rural (cheval, mulet et autres volailles), mais aussi une attention portée aux gestes des artisans saisis en gros plans : « Les mains racontent tellement de choses sur les hommes. » Si Sebastião Salgado ne l’avait déjà pris, le titre de cette future série aurait été tout trouvé…

PASCAL KOBER
RÉDACTEUR EN CHEF

 

Retour en haut